Jacques Fournier entreprend de raconter à la psychologue assise à ses côtés que ses difficultés ne s’arrêtent pas là ; lorsqu’il réussit enfin à s’endormir, ses nuits sont terrassées par d’effroyables cauchemars desquels il se réveille en sursaut et en proie à une puissante crise d’angoisse. Le funeste silence nocturne qui règne dans la maison n’a rien pour le rassurer. Il se lève alors, allume toutes les lumières de la résidence, avale une pilule et ouvre la télévision pour se sentir moins seul. Il demeure néanmoins effrayé à l’idée de se rendre à la cave afin d’y allumer là aussi les lumières. Il n’arrive plus à mettre les pieds dans un sous-sol depuis le tragique événement qui l’a traumatisé trois mois plus tôt. Dès qu’il entreprend de descendre les premières marches qui mènent vers les soubassements d’une maison privée, une puissante main invisible lui enserre la gorge et l’empêche de respirer. Un sentiment de panique l’envahit aussitôt et il n’a d’autre choix que de rebrousser chemin. C’est stupide, selon lui, mais il n’arrive pas à contrôler cet affolement spontané.
La médication peut traiter votre dépression, contrôler vos crises d’angoisse, vous aider à trouver le sommeil. Mais pour le reste, il n’y a que la thérapie pour vous permettre de traverser l’épreuve. Il faut admettre que vous n’avez pas eu une année facile. Le deuil de votre femme, qui a précédé tout ça, vous a placé dans une position de vulnérabilité émotionnelle. Vous vous êtes beaucoup attaché à Annabelle. Et ensuite à cette journaliste, madame Stone, dont vous m’avez parlé l’autre jour. Elle vous a blessé à son tour avec cette rupture définitive aussi subite qu’inattendue.
Un perdant serait éliminé chaque jour, de la manière la plus atroce qui soit, précise-t-elle, afin de lui faire payer cher le crime dont il est coupable et pour lequel il n’a pas été suffisamment puni. Toutefois, contrairement à la coutume des soirées Exécution, l’événement épargnerait cette fois la vie d’un homme, car le gagnant de la joute se verrait soustrait au terrible sort qui lui serait réservé.
Cette relation mère-fils me fait sourire et me rend triste à la fois. Elle me rappelle mes parents que j’ai perdus trop tôt et dont la présence me manque. Je sais bien que s’ils vivaient encore, je serais moi aussi forcée de leur inventer des histoires afin de ne pas les troubler et surtout les préserver des inquiétudes inhérentes à ma condition particulière.
Comment une jeune femme, si jolie et à l’allure si saine d’esprit, peut-elle se révéler une aussi machiavélique meurtrière ? Fournier n’ose pas employer le mot psychopathe pour la désigner ; il n’arrive toujours pas à accoler cette disgracieuse étiquette à celle qu’il considérait jusque-là, avec grande affection, comme sa propre fille.
Salon du livre de Montréal, 2014 - Marc Aubin, La Justicière