"On dit ce que l'on veut en vers l'amour la mort
mais pas la honte".
Ce recueil semble être écrit pour illustrer ces quelques vers présents dans la dernière partie du recueil. "L'amour", c'est bien sûr et toujours celui d'
Elsa qui hante tous les recueils d'
Aragon, même si l'amour n'est pas toujours heureux et facile, même si, ici,
Aragon semble plutôt évoquer l'amour passé, les premières heures de cet amour, que l'amour actuel. J'ai d'ailleurs cru en commençant ma lecture qu'
Elsa était morte au moment de l'écriture du recueil.
L'amour, c'est aussi en partie celui de la France. Ce n'est pas un recueil de poésies de la Résistance, mais certains
poèmes y font allusion ainsi qu'à la Grande Guerre, notamment "Tu n'en reviendras pas" et "Strophes pour se souvenir" - "l'Affiche rouge". Les "morts", ce sont les disparus, des poètes, des résistants, des martyrs.
Le ton dominant du recueil semble donc être celui de la mélancolie et de la douleur.
Aragon est vieux dans le portrait qu'il trace de lui-même, il a des cheveux blancs, il se présente même comme ayant des difficultés à écrire. La couleur est le gris, gris de la pluie, gris de l'automne, gris du brouillard. Même les souvenirs joyeux sont assombris. Ce n'est parfois pas très facile à lire, car très sombre, plein "d'heures noires", comme si
Aragon renonçait en quelque sorte à ce qu'il aime, aimer et écrire. Il a vu tellement d'horreurs, qu'il semble ne plus pouvoir écrire en vers : il passe à la prose lorsqu'il doit évoquer la Grande Guerre, il a "déchiré des pages et des pages" tant l'écriture est douloureuse.
Cela tient en partie au contexte d'écriture, à cette "honte" qu'il évoque, et qui le fait se comparer à un martyr, lui qui subit "des chutes", des "crucifixions" - au pluriel, et au final une autre "Passion". C'est cet aspect biographique que je ne connaissais pas, ce qui m'a empêché de saisir de nombreuses allusions assez obscures sur cette année 1956, année de parution du recueil et année du rapport Khrouchtchev sur les crimes du stalinisme, pour lui qui a cru au stalinisme - j'emploie le verbe "croire" délibérément, il y a de la croyance religieuse, une foi, dans l'idéologie communiste chez
Aragon.
Cependant, plus qu'un texte de justification ou qu'un chant de plainte, pour moi, j'ai lu ce recueil comme un manifeste dans la force de l'écriture. C'est vers l'écriture que se porte la véritable foi d'
Aragon : "Ici commence la grande nuit des mots". La parole poétique est ainsi comparée à une "genèse", à un "première jour" - on retrouve les métaphores religieuses. La parole est une "création". Ecrire vaut finalement la peine puisqu'il permet de chanter l'amour d'
Elsa, c'est à dire l'essence même d'
Aragon : écrire et aimer, c'est "être [soi]-même", puisque le dernier poème célèbre à nouveau
Elsa.