« – Qu'as-tu fait, ô toi que voilà » pour continuer avec le poème de
Verlaine, c'est la question que le lecteur voudrait poser à Loup.
Ce que Loup a fait vaut un entrefilet dans le journal local, pas plus car il n'y a pas eu de dégâts majeurs. Mais derrière ce qui est à peine un fait divers il y a la vie de toute une famille, la sienne.
L'auteur a l'art de la concision pour parler de « qui est en marge » en restant au plus près de l'âme.
La mère de Loup ne lui a pas transmis qu'un prénom, qu'elle souhaitait celui d'un homme fort, d'un vainqueur, non cet adolescent ne se sent en rien les crocs d'un loup. Il est fragile et isolé, perdu dans la vie, dans la sienne et celle du monde comme il va.
Sa mère qui se fait appeler Phénix, a trouvé une maison pour les abriter tous les trois, car il a une soeur de onze ans son aînée. Mais ce qui apparaît à la mère comme un cocon apparaît aux enfants comme une maison triste, bizarre où la joie ne circule pas. Il y a un manque de tout, quoi que fasse Phénix.
Phénix ce fut Eliette, petite fille obéissante jusqu'au jour où…
Elle avait des comptes à régler et s'est forgé une carapace voire une armure.
Elle a eu Paloma, puis Loup qu'elle a élevé seule, sans aucun des pères. Paloma a pris ses distances en laissant Loup derrière elle, elle a fait sa vie jusqu'au jour où le téléphone sonne. Phénix l'informe que son frère est en prison à quelques kilomètres de chez elle. Il faut l'aider.
La carapace se fendille jusqu'où va-t-elle craquer ?
« Il ne connait pas son père mais quand il rencontre des hommes comme lui dans la rue, ni noir ni blanc, il se demande s'il pourrait être leur fils. Sa soeur qui ne connaît pas son père non plus, est blanche comme leur mère, voilà c'est tout, ça s'arrête là. »
C'est un roman court aussi violent que flamboyant car il parle en mots choisis de la transmission.
Vouloir transmettre sans expliquer comme si toute chose allait de soi, cela engendre de la peur, de la solitude derrière l'incompréhension, et la dislocation d'une famille.
Loup n'est pas un guerrier, même pas un adolescent juste un enfant effrayé par son sentiment de solitude, son besoin d'exister et d'être aimé.
Phénix n'est en rien une mère indigne, non elle voulait juste les élever librement, leur transmettre la liberté, celle d'être soi mais les enfants ont besoins de mots, de gestes pour se construire. Phénix va l'apprendre à ses dépens.
Il y a entre les rêves que l'on fait pour ses enfants et comment eux appréhendent les choses transmises, souvent un gouffre.
Une fois de plus
Nathacha Appanah nous raconte ces êtres cabossés, en marge, mais qui ont en eux des étincelles qui à tout moment peuvent allumer le feu.
Texte court, mots simples et précieux par leur justesse, ils creusent une empreinte dans le lecteur, qui s'interroge.
L'enfermement est-il derrière les barreaux ?
Vu de l'extérieur chacun pourrait avoir une opinion sur cette famille, mais que connaît-on derrière la façade ?
« Juger c'est, de toute évidence ne pas comprendre puisque, si l'on comprenait, on ne pourrait pas juger. »
André Malraux Les Conquérants (1928)
Une belle démonstration toute en finesse et émotions.
Chantal Lafon-Litteratum Amor 16 septembre 2019.