Bien décidé à préserver sa liberté, il appréciait par-dessus tout le droit à demeurer maître de son temps, qu'il ne voulait pas gouverner en fonction des aiguilles d'une horloge.
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On n'a jamais su la teneur exacte de la conversation qui s'engagea en cette soirée itabunaise entre Raduan Murad et le jeune Adib Barud.Ils dialoguèrent sans témoin, et ne firent confidence à personne des thèmes abordés. Ce qui n'empêcha pas certaines personnes de rapporter mot pour mot le long entretien, sans oublier les intonations, les éclats de rire, la densité des silences. p. 63
- [...] La vertu est triste et despotique.
Quant à dire, comme le faisaient certains par jalousie, que c'était un adversaire déterminé du travail, qu'il l'avait en sainte horreur, comme c'est souvent le cas des gens instruits, c'est là, bien évidemment, pure injustice et malveillance.
S'il est vrai qu'en sa prime jeunesse, le professeur (ainsi l'appelait-on souvent par déférence) s'était refusé obstinément à entreprendre des activités peu en rapport avec ses capacités intellectuelles, il n'y avait pas de travailleur plus assidu et ponctuel que lui à une table de poker ou de tout autre jeux de hasard. De hasard ?
A en croire les historiens ibériques, tant espagnols que portugais, la découverte des Amériques par les Turcs,lesquels ne sont pas le moins turcs, mais arabes de bonne souche, a eu lieu très tardivement, à une époque relativement récente ; en tout cas, pas avant le siècle dernier.
(p. 56-57)
[Raduan] déplora qu’Adib ne s’intéressât qu’aux filles de planteurs et dédaignât les filles de commerçants. Dommage.
« Qui vous a dit ça, professeur ? Montrez-m’en une qui ne dis pas non, moi j’y cours, et tout de suite. (…)
- Même si la jeune fille n’était pas une de ces beautés, tu vois ce que je veux dire, même si elle était un peu tarte…
- Une femme qui a du fric, elle ne peut pas être si moche.
- Entièrement d’accord, mon gars. Je vois que tu as reçu une bonne éducation ».
(p. 109)
Une fois ou l’autre, [Adib] accompagnait son beau-père dans une virée nocturne avec retour à point d’heure. La première fois que la chose se produisit, Adma voulut montrer le bout de son nez; elle resta debout à attendre, accumulant une réserve de fureur et de venin, et l’accueillit l’injure à la bouche, mêlant vociférations et sanglots, un tohu-bohu infernal. En attendant mieux, Abdil lui balança une vigoureuse paire de claques, simple prélude à une raclée mémorable qu’il lui flanqua pour lui apprendre à vivre; ensuite il lui fit l’amour avec fougue et avec tendresse, pour la laisser finalement apaisée et comblée, ronronnant de plaisir.