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« La fin de l'homme rouge ». Mais qui est cet « homme rouge » ?
Les héros de ce livre, ce sont les Saint-Just d'une Terreur qui a duré 75 ans. Idéalistes, romantiques, prêts au sacrifice pour le bonheur de l'humanité.
Ils sont désormais les victimes d'un capitalisme sauvage. Ils ont tout perdu. Ils se sont appauvris; leurs idéaux sont moqués; leur vie passée est considérée comme une erreur ; les Américains pensent que ce sont eux qui ont vaincu Hitler et l'Allemagne est devenue une grande puissance tandis que l'Urss a disparu sans combattre.
« Je suis indignée quand on parle du marxisme avec mépris et qu'on le tourne en dérision : jetons ça à la poubelle ! Aux ordures !… C'est une doctrine grandiose, elle survivra à toutes les persécutions. Et à notre échec soviétique aussi. Parce que… Il y a beaucoup de raisons à cela… le socialisme, ce n'est pas seulement les camps, la délation et le rideau de fer, c'est aussi un monde juste et lumineux : partager avec les autres, avoir pitié des faibles, compatir, et non tout ramener à soi. On me dit qu'on ne pouvait pas s'acheter de voiture. Mais personne n'en avait ! Personne ne portait de costumes Versace, personne ne s'achetait de maison à Miami. Seigneur ! Les dirigeants de l'URSS avaient le niveau de vie d'un homme d'affaires moyen, ils étaient loin d'atteindre celui des oligarques. Cela n'avait rien à voir ! Ils ne se faisaient pas construire des yachts avec des douches au champagne. Non, mais vous vous rendez compte ? À la télévision, on fait de la publicité pour des baignoires en cuivre qui coûtent le prix d'un deux-pièces ! C'est pour qui, hein ? Des poignées de porte plaquées or… »
Mais bien sûr, le communisme c'est aussi « les camps, la délation et le rideau de fer ». Et le pire n'est pas de lire les récits épouvantables des exactions commises par le stalinisme ni de découvrir le monde kafkaïen des camarades. « Des prisonniers de guerre soviétiques ont été échangés contre des Finlandais qui se trouvaient en captivité chez nous. Ils avançaient en colonnes à la rencontre les uns des autres. Quand les Finlandais sont arrivés à la hauteur de leurs compatriotes, ils se sont embrassés, ils se sont serré la main… Nos soldats à nous, ils n'ont pas été accueillis comme ça, ils ont été traités en ennemis. Ils se précipitaient vers les Soviétiques en criant : “Frères ! Compatriotes ! – Halte ! Si vous sortez des rangs, on tire !” Leur colonne a été encerclée par des militaires avec des bergers allemands, et on les a conduits dans des baraques spécialement préparées pour eux. Avec des barbelés autour. Et les interrogatoires ont commencé. “Comment t'as été fait prisonnier ? a demandé un commissaire à mon père. – Les Finlandais m'ont sorti d'un lac. – Tu es un traître ! Tu as sauvé ta peau au lieu de défendre ta Patrie ! »
Non, ce qui est vraiment terrifiant, c'est de ne pouvoir raisonner en termes de victimes et de bourreaux. Car celui qui a été déporté, torturé ignoblement, c'est aussi celui qui se fait exécuteur à sa libération, non pour sauver sa peau, mais par horreur du bourgeois : “Nous mènerons d'une main de fer l'humanité vers le bonheur. »
Pour la plupart des témoins interrogés par Svetlana Alexievitch, les vrais responsables sont les livres. Parce qu'ils ont fait entrer l'idéalisme dans les coeurs, qu'ils ont érigé l'âme russe en modèle et l'exaltation en horizon indépassable de la condition humaine. Et c'est au nom de l'humanité -de l'humanité tout entière, pas d'une ethnie ou d'un peuple- qu'on a plongé la tête de son prochain dans ses excréments.
Avec peut-être un tout petit paragraphe d'espoir égoïste dans ce gros pavé asphyxiant où m'a manqué la respiration d'une parole érudite et critique : « La démocratie, ça ne s'achète pas avec du pétrole et du gaz, ça ne s'importe pas comme des bananes ou du chocolat suisse. Ça ne se décrète pas par un oukase présidentiel… Il faut des gens libres, et il n'y en avait pas. Il n'y en a toujours pas aujourd'hui. En Europe, cela fait deux cents ans qu'on entretient la démocratie comme on entretient un gazon. »







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Très difficile de résumer et de surcroît analyser une pareille fresque. Ce livre monumental de plus de 700 pages n'est ni plus ni moins une traversée au coeur de la Russie et de l'U.R.S.S. du XXe siècle au début du XXIe siècles. La très talentueuse auteure biélorusse Svetlana ALEXIEVITCH va interviewer des dizaines de russes – dont beaucoup de femmes -, certains ayant connu la période stalinienne. La travail de fourmi va s'articuler autour de plusieurs axes : la révolution russe, le stalinisme, la glasnost et la perestroïka annonçant l'avènement de GORBATCHEV, puis la période ELTSINE, pour se clore avec les débuts de la Présidence POUTINE.

Des témoignages marquants, bouleversants, comme de micro biographies de familles traumatisées. Des hommes, des femmes, de haute ou basse extraction, vont se succéder afin de raconter « leur » histoire, diluée dans celle de leur pays. le récit est foisonnant, vertigineux, dense, presque démentiel. Il tend à faire revivre l'indicible : les camps, la misère, les tortures, les assassinats, les collusions, les règlements de compte, la mafia locale ou nationale, les mensonges de tout un pays frappé par la folie. Les entrevues eurent lieu entre les années 1990 et les années 2000, mais en fin de compte se rejoignent : les russes semblent nostalgiques du stalinisme malgré ce qu'il a engendré en cauchemars, vies brisées et autres massacres. Oui cette période fut atroce, mais d'après les témoins, le peuple avait du travail, partageait, vivait pour son pays, pour une cause juste. Et en gros, on ne fait pas d'omelette sans casser les oeufs, alors les morts, les camps, les exactions, certes, mais pour un but immense : la grandeur du pays.

Dès la perestroïka, le peuple condamne le capitalisme, l'occidentalisation, la débauche, les produits disponibles en grandes quantités, ravivant la cruauté du matérialisme et du consumérisme. Il regrette cette sorte de grande communauté nationale de jadis qui ne formait qu'une entité, solide, certes asservie, mais fière.

Dans ces témoignages apparaissent les spectres du nationalisme ardent, du racisme ordinaire (étrangers passés à tabac, exécutés, torturés), l'antisémitisme hautement revendiqué. Ah ! La haine des juifs, une longue histoire en Russie. Et puis quoi ? Malgré toute cette haine, les juifs devraient remercier les russes d'avoir battu Hitler et le nazisme. Si leur peuple vit encore, c'est grâce aux russes, à son armée, à l'âme russe. Alors rompez petits soldats. Certains témoignages font froid dans le dos par leur violence dans un pays recroquevillé sur lui-même, fier de ses valeurs, mais celles du passé, du communisme triomphant, des dirigeants autoritaires, des beaux uniformes, de la peur à chaque coin de rue.

Et pourtant, des voix – très minoritaires - ne sont pas loin de penser que c'est mieux maintenant, alors à quoi bon ressasser le passé et déterrer les morts et les horreurs ? Et puis, on a pris pour habitude de se taire, la parole a du mal à se libérer :

« - Vas-y, parle, on peut tout dire maintenant…
- C'est qu'on n'a pas l'habitude… ».

Oui, il y a eu la censure d'État, mais c'était uniquement pour la grandeur du pays, l'image de tout un peuple, pour son bien. le stalinisme a trouvé ses défenseurs post-mortem, des nostalgiques d'une période révolue. Révolue ? Ils souhaiteraient que tout reprenne comme avant, c'est-à-dire avant GORBATCHEV, détesté des siens, que l'on revive en autarcie, seuls et forts, avec peu de biens mais un coeur et une âme entièrement dédiés à la Nation. Qu'elle soit russe ou soviétique.

En Russie on a toujours picolé plus que de raison, l'alcool a créé des désastres humains, des familles ont explosé. Aujourd'hui on boit tout ce qui nous tombe sous le coude, jusqu'au liquide de freins. Vérité effrayante d'un peuple qui a toujours souffert, qui n'a jamais connu la liberté ni même la démocratie. Il en a entendu parler, oui, mais bon, si c'est pour devenir comme aux Etats-Unis, non merci. le capitalisme ne s'implantera pas, on n'a pas le droit de le laisser s'enraciner. Un STALINE va revenir, c'est sûr, pour le plus grand bien du pays. Il va faire le ménage, reprendre ou « l'autre » a stoppé, pas d'alternative. Les purges reviendront à grands renforts armés.

« Pauvres débiles ! Comme si ça existait, les miracles ! La vie, c'est pas un navire tout blanc avec des voiles blanches ! C'est un tas de merde enrobée de chocolat ».

Pour parvenir à respirer en ces pages suffocantes, la littérature. En Russie elle prend une place prépondérante, les livres, les écrivains sont considérés comme des trésors, alors on se récite des vers de poètes, même s'ils ont été exécutés naguère par l'appareil d'État, on échange sur les grands romanciers russes, on les cite, on les vénère, leur ombre continue de planer inlassablement, comme une déesse aux mains d'argent. Malgré la misère, on s'instruit, on tient à relayer les écrits ancrés dans une tradition : DOSTOÏEVSKI, TOLSTOÏ, TCHEKHOV, tant d'autres. La culture est intarissable, c'est peut-être elle seule qui aide en somme à tenir le coup au milieu de cette folie.

Ce livre traduit par l'incontournable Sophie BENECH (encore un travail magnifique) est un reportage saisissant dont on ne revient pas sans croûtes. L'auteure ne prend pas la parole, elle laisse parler ses témoins (comme DOSTOÏEVSKI ses personnages en son temps). Elle est biélorusse, or lorsqu'elle écrit son bouquin, la Biélorussie est devenue la première dictature d'Europe, cela aussi a dû motiver Svetlana ALEXIEVITCH à faire parler les survivants presque miraculeux d'une région dévastée. Car certains russes sont devenus étrangers après l'éclatement de l'U.R.S.S., ukrainiens ou biélorusses par exemple. D'autres ont quitté leur pays, l'auteure les a rencontrés un peu partout dans le monde pour les faire témoigner. Ceux-là aussi possèdent des souvenirs, des traumatismes marqués.

Durant ma lecture, j'ai poussé le vice jusqu'à visionner en parallèle le long reportage de 2000 en quatre parties intitulé « Goulag ». Par certains aspects cette « Fin de l'homme rouge » lui fait diablement écho. Fait également de témoignages, le film recoupe les convictions montrées dans le présent livre, ces deux oeuvres semblent indissociables, comme pour faire parler la mémoire. La Russie est décidément un pays hors normes, la violence est prégnante dans les propos et les actes. Il faut absolument découvrir ce bouquin qui prend aux tripes. Pensez cependant à vous aérer durant votre lecture, le voyage est douloureux (malgré les longues histoires d'amours déchirées, certes éparses) mais indispensable. Sorti en 2013, c'est ce récit qui permit à Svetlana ALEXIEVITCH d'obtenir le Prix Nobel de littérature en 2015, il est implacable et édifiant.

https://deslivresrances.blogspot.fr/
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Je retombe sur ce livre après deux années sur les étagères. Je ne résiste pas à l'envie d'écire quelques lignes à son sujet, tant il m'avait marqué.

Pour ceux qui ne connaissant pas, la méthode de l'auteure est particulière : elle retranscrit un échantillon de milliers d'interviews qu'elle a mené avec des ressortissants de l'ancien URSS. le procédé, qu'elle a utilisé de nombreuses fois, est d'une puissance remarquable pour traiter de tous les sujets complexes qui ne sauraient se résumer par la bouche d'une poignée de points de vues.

À titre personnel, ce livre m'a confronté à des réalités que je ne connaissais pas. L'URSS dans son ensemble m'a semblé s'ouvrir comme jamais auparavant, d'une manière intime et personnelle. Et par l'accumulation des voix, j'ai cru entendre toute une époque revivre, tout son tumulte sortir des livres d'histoires, toute l'humanité se verser sur les froides analyses.

Et ce n'est pas étonnant. Pr son procédé, l'auteure questionne la frontière entre le réel et la fiction. Qu'est-ce que la littérature, par rapport au réel ? A-t-on besoin d'inventer la littérature, alors qu'elle est tout autour de nous ? Autant de questions qui ne peuvent pas laisser indifférent n'importe quel accro de la littérature, du film ou de la culture en générale.

En somme : un grand pavé qui ne s'oublie pas.
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Pas inintéressant mais dur à lire et surtout désespérant !
Ce que vivent ces déçus du communisme donne peu d'espoir
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Je n'ai jamais réussi à aller au bout. L'écriture d'Alexievitch est... spéciale. On y adhère ou on décroche vite. Pour ma part, j'ai décroché rapidement
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"En prison, on lui avait cassé les dents, on lui avait fendu le crâne. Mais il n'avait pas changé, il était resté communiste. Vous pouvez m'expliquer ça ? "

Svetlana Alexievitch n'explique pas la perestroïka, les putcsh de 91 et 93, comment au nom de la liberté Gorbatchev et Eltsine ont cédé l'Union Soviétique aux capitalistes et autres indépendantistes qui s'en sont déchiré les morceaux, elle ne raconte pas la fierté et l'amitié du temps de Gagarine ni les massages de la main droite accordés par le NKVD aux bourreaux pour qu'ils tiennent leurs quotas, les dégâts causés par l'alcool, la nostalgie et les idéaux perdus qui mènent au suicide...
Svetlana enregistre des témoignages et c'est fort, très fort.

C'est également une réflexion sur le bonheur.
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Bouleversant...
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Un gros pavé de 650 pages à lire si le mot URSS évoque quelque chose pour vous. C'est un recueil de témoignages, des tranches de vie d'hommes et de femmes soviétiques, qui nous livrent, grâce à l'écriture de l'auteure, une mosaïque de portraits et de vies dans la Russie soviétique et post-soviétique.

Le froid, la misère, la guerre, le froid, les camps, la misère, la prison, une autre sorte de camp, l'orphelinat, Lénine, Staline, le communisme, la Patrie, les Héros, les guerres, les hommes , les femmes, la vodka, les patates, l'amour et les livres, encore des livres...

Un peuple malmené depuis toujours , qui a été transcendé par un dogme, le communisme, qui faisait de leur pays le plus grand pays de monde...

Ils ont gagné la guerre (contre Hitler) , des valeurs communes sur ce qu'est l'homme soviétique, des héros vénérés, des peuples amis pour faire face au reste de la planète et en 1990 un séisme, violent, destructeur pour lequel ils n'étaient pas prêts : liberté/capitalisme.

Que devenir quand toute sa vie n'a plus de sens, que toutes les valeurs qui définissaient le bien et le mal se retrouvent renversées, retournées et finalement inversées. Comment garder le sens de sa vie ?

Reste la guerre, la vodka et la violence ...

Un livre qui m'a captivé tant pour L Histoire que les histoires des uns et des autres et qui m'éclaire sur la place et le rôle de Poutine ainsi que sur "l'esprit Russe".
Lien : http://theetlivres.eklablog...
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Plusieurs critiques précédentes ont admirablement bien décrit l'oeuvre et son effet, quoi ajouter ? je suis sonnée encore une fois par les témoignages que nous livre @Svetlana Alexievitch, elle nous offre une immersion dans la vie des citoyens soviétiques redevenus russes, qui ont grandi dans un immonde régime totalitaire avec goulags et lavage de cerveau inclus, puis vécu des espoirs de démocratie au-delà de toute attente, pour finir avec un régime d'une brutalité capitaliste en deça de tout, qui laisse derrière une panoplie de laissés pour compte, miséreux au point de regretter l'ancien régime. Pas étonnant que dans ce contexte, on en vienne à idéaliser le passé et même Staline !!! lisez ce témoignage d'un ancien prisonnier politique revenu des goulags et malgré tout encore pro-soviétique, qui m'a fait tomber la mâchoire... Cette auteure a un don pour vous faire vivre la vie terrible de tous ces gens en quelques soirées dans le confort de votre salon et pourtant, vous n'êtes pas si confortable. Émouvant, instructif, bouleversant, plongez dans l'âme russe, dans cette terrible Histoire, vous ne vous en tirerez pas indemnes.

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De ce livre, on pourrait en dire tellement de choses… Ce qui est écrit dedans, c'est tout ce que les livres d'histoires ne nous enseigneront jamais. Ici, l'auteure a su faire parler l'être au-delà de l'homme et, au travers de nombreux récits aussi divers que poignants, nous apprenons l'histoire de l'URSS.
J'ai souhaité plusieurs fois noter des phrases et des réflexions qui m'interpellaient mais je me suis vite rendu compte que j'aurai dû réécrire tout le livre. A peine ai-je finis de le lire que j'ai déjà envie de le recommencer. L'homo sovieticus a su parler à la femme occidentale que je suis et je suis certaine qu'il a su parler à bien d'autres encore.
Dans ce rassemblement de témoignage, il faut changer notre perception française et capitaliste, il faut comprendre l'idéologie de l'autre, comprendre que dès l'enfance, on leur apprenait à mourir pour la patrie.
Dans un ultime questionnement, nous pouvons nous poser avec sincérité : de quel côté aurions-nous été durant la perestroïka si nous aussi nous avions été un homme rouge ou un enfant d'homme rouge ?

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