Un livre coup de poing, un livre comme il y en a peu.
On ne sort pas indemne de cette lecture. L'auteur, Biélorusse/Ukrainienne, a obtenu le prix Nobel de littérature en 2015.
Est-ce vraiment de la littérature ou plutôt quelle forme de littérature est ce? Il s'agit d'entretiens avec différentes personnes qui racontent leur vie avant, pendant et après la Perestroïka.
On découvre des gens qui racontent leurs histoires face à la grande histoire ou plutôt l'histoire avec un grand H. Cette Histoire n'est pas grande mais tragique tout comme leurs histoires. Ca raconte les goulags, camps, dénonciations, meurtres, orphelinats, amours, abandons, Staline, Gorbatchech, Eltsine, Afghanistan, Tchétchénie, attentats, tortures...
L'homme / la femme soviétique qui a cru en l'utopie communiste, qui pensait que le changement serait un socialisme à visage plus humain et qui se réveille avec un capitalisme ultra sauvage.
Beaucoup ont la nostalgie d'un grand empire, de la victoire, certains pensent que la Russie a besoin d'un nouveau Staline.
On y découvre l'importance de la culture littéraire, théâtrale pendant la période soviétique. On lit des scènes de torture... de souffrance, abominables.
On découvre que la foi politique est toute aussi destructrice que la foi poussée à l'extrême. Dévastateur.
Ce livre m'a permis de mieux comprendre comment/ pourquoi Putin a un tel succès.
Quelques extraits :
"Les années
Gorbatchev... La liberté et les cartes de rationnement... Des tickets pour tout, depuis le pain jusqu'à la semoule et les chaussettes. On faisait des queues de 5 ou 6h... mais en lisant un livre qu'on ne pouvait pas acheter avant. Et on savait que le soir, ils passeraient à la télé un film autrefois interdit qui avait dormi dans un placard pendant 10 ans. C'était génial. On apprenait la vérité qu'il n'y avait pas eu seulement Gagarine mais aussi Béria. En fait, moi, pauvre idiote, la liberté de parole m'aurait suffi, parce que, comme je n'ai pas tardé à m'en rendre compte, j'étais une petite soviétique. Nous étions imprégnés de tout ce qui est soviétique bien plus profondément que nous ne le pensions. Il aurait suffi de me laisser lire...
Pour nous les livres remplaçaient la vie. C'était notre univers. P227 et 228
"On vivait dans une sorte de célébration perpétuelle de la guerre... Quand j'étais au jardin d'enfants, la maîtresse nous avait emmené devant le monument å Marat Kazeï, le héros pionnier. "Regardez les enfants, disait elle, c'est un jeune héros, il s'est fait exploser avec une grenade et il a anéanti beaucoup de fascistes. Quand vous serez grand, vous devrez être comme lui." Nous aussi il faudrait qu'on se fasse exploser avec une grenade? Je ne me souviens pas, mais maman m'a raconté que la nuit suivante j'avais pleuré toutes les larmes de mon corps : il allait falloir que je meurs, je serai couché quelque part tout seul, sans mon papa et ma maman. Et puisque je pleurais, cela voulait dire que je n'étais pas un héros... J'en suis tombé malade. P231.
"Je ne connais pas la date, ni même l'année de ma naissance. Dans ma vie, tout est approximatif. Je n'ai retrouvé aucun document. J'existe sans exister. Je ne me souviens de rien, et je me souviens de tout. He pense que ma mère était enceinte de moi quand elle est partie (déportation). Pourquoi? Parce que je suis toujours bouleversée par le sifflement des locomotives et l'odeur des chemins de fer...Par les gens qui pleurent dans les gares. Même quand je voyage dans un train normal, dès que j'entends passer des wagons de marchandises j'ai les larmes aux yeux. Je ne supporte pas de voir des wagons à bestiaux, d'entendre les beuglements des animaux... on nous a transporté dans des wagons comme ça. Je n'existais pas encore. Et j'étais déjà là. Dans mes rêves il n'y a jamais de visages ni d'histoires... Rien que des bruits et des odeurs...
La région de l'Aurai. La ville de Zmeïnogorsk. La rivière Zmeïovka... Les déportés ont été débarqués en dehors de la ville, près d'un lac. Et ils ont vécu sous terre. Dans des abris creusés dans le sol. Je suis née sous terre, c'est là que j'ai grandi. Depuis que je suis toute petite, pour moi, la maison a toujours eu une odeur de terre. de l'eau coule du plafond, une motte de terre se détache, elle tombe et saute sur moi. C'est une grenouille. Mais je suis toute petite, je ne sais pas encore de quoi il faut avoir peur. Je dormais avec 2 chevreaux sur une litière bien chaude... mon premier mot a été "mêéé!" pas "ma" ni "maman". Ma grande soeur Vladia racontait que j'étais très étonnée que les chevreaux ne parlent pas comme nous. Je n'en revenais pas. Je les considère comme des égaux... p322 et 323.
Il y en a beaucoup d'autres. Beaucoup de femmes mais pas que. Des juifs, des Tchétchènes, des Arménienes, ... des jeunes, des moins jeunes et des très vieux. Moscou et ailleurs.