«Moi j'aime bien le mot "camarade", et je l'aimerai toujours»
Un livre un peu dérangeant car ce n'est pas un auteur qui s'exprime mais tout un peuple. Un micro trottoir très dense mais un peu fouillis, varié, beaucoup de sincérité et d'émotion de la part des interviewés, ce qui le rend très émouvant pour certains témoignages. On note toutefois que les interviewés font parti souvent de la classe supérieure, mais pas tous il y a de vrais prolos, et qu'ils ont une conscience politique acérée et étonnement lucide.
«Vous avez tort de vous fier aux gens» dit un interviewé et c'est fort possible toutefois il ressort beaucoup de traits communs de l'homo soviéticus et ce n'est pas un hasard surtout dans un état militarisé et policier à l'extrême.
Cerner dans la mesure du possible l'âme russe,
Svetlana Alexievitch l' a compris, est une tâche incommensurable et un peu présomptueuse alors elle laisse parler les intéressés, façon écoute sur divan du psy plutôt que extorsion d'aveu KGB.
On fera donc avec et on essayera de lire entre les lignes et c'est particulièrement difficile à cause de l'émotion intense de certains passages.
Une difficulté pour appréhender ce texte car on ne sait pas quelle est la part de retranscription, mise à part la mise en forme un style de très bonne qualité, de l'autrice mais tout cela paraît sincère.
Il y a tout dans cette suite de monologues, de témoignages, d'aphorismes populaires, de slogans politiques, d'avis politiques avisés et d'autre moins, il y a tout... de tout et son contraire comme l'âme humaine et pas seulement la russe, en fait il ne faut pas trop s'en étonner.
Regrets du communisme et du socialisme et adoptions du libéralisme sauvage
Regrets de la culture russe et en même temps, addictions nouvelles à d'autres distractions plus futiles
Rejet de la dictature du prolétariat et de la soumission aux forces financières capitalistes
Regrets de valeurs humaines et sociétales et acceptation de comportements occidentaux de maffieux.
Regret d'un âge d'or et crainte d'un monde nouveau.
Désillusion sur le communisme et sur le capitalisme
Désillusion sur la perestroïka de
Gorbatchev et sur la libre concurrence féroce.
La mafia qui mis l'état en coupes réglées et dépossédé l' "homo soviéticus" de ses biens sans qu'il y ait de réaction
Et encore bien plus...
«Les français sont de veaux»* disait le général
De Gaulle, et les russes? Aussi mais en plus ils font l'autruche et sont patriotiques, rouges quoi! On remarque quelques similitudes entre gaulois et slaves toutes proportions gardées. Quand on donne le bâton pour se faire battre...Et qu'on a une propension à beaucoup discutailler intellectuellement.
En fait de quoi parle-t-on des russes? Pas vraiment mais de l' « homo soviéticus » réparti sur le vaste empire de l'URSS mais si on commence à regarder au niveau macroscopique on s'aperçoit qu'il n'existe que sur le papier car le Kazakh, le tadjik, l'arménien, le tchétchène, le tatar, l'abkhaze, le géorgien, l'ossète, l'azéri, l'ouzbek ne sont pas des «homos soviéticus» mais des colonisés qui n'ont pas beaucoup d sympathie pour le russe blanc mais rouge et même pas rouge. L'«homos soviéticus» n'est même pas souvent communiste, rouge parfois pour les russes et encore pas tous et pour certains élites des peuples fédérés mais les autres…
Il suffit que la main de fer qui tient le pays se meurt et aussitôt chaque peuple revendique sa libertés comme pour la Yougoslavie de Tito mais un empire qui meurt ça laisse des traces pendant longtemps et les velléités de reprise en main par le dictateur de service risquent d'être fort désagréables et pas seulement pour les russes.
En conclusion et pour élargir le sujet l'URSS n'était pas prête à devenir la Russie et encore moins la Grande Russie. Que va-t-elle devenir avec l'autre monstre kgbiste mégalomane qui s'est trompé d'histoire et d'époque? Et ces russes qui le réélisent systématiquement ne sont-ils les petits tyrans qui lui permettent d'être celui qu'il prétend être: le nouveau tzar du Kremlin?
L'âme russe ne semble pas exister dans ce livre plutôt une manière du russe de se définir complaisamment mais avec beaucoup de larmes, d'énoncer des valeurs abstraites déconnectées de la réalité et de tenir une place dans le monde. Et c'est bien triste pour les individus qui sont broyés par les systèmes successifs communiste idéologique et capitalisme hargneux: l'homme est mauvais c'est intrinsèque à sa nature, russe ou pas!
Le règne de «Mammon» n'est pas mieux loin de là.
Un excellent livre de
Svetlana Alexievitch même si elle n'en est que la transcripteuse. Elle a su saisir l'essentiel des "conversations de cuisine" de la Russie rouge.
Note: le mot camarade est porteur de fraternité et c'est bien dommage qu'il ait été autant sali et dévalué... Comme le mot fraternité d'ailleurs celui de notre devise.
*Il est à noter que la phrase réellement prononcée dixit le fiston, serait « Ce sont des veaux. Ils sont bons pour le massacre. Ils n'ont que ce qu'ils méritent. »