Aujourd'hui je suis d'humeur à parler. mais en général je ne rentre pas dans les détails. Je dis juste que je m'appelle Jmaiaa, que j'ai trente- quatre ans, une fille, et que pour vivre, je me sers de ce que j'ai.
J'allume une cigarette et je tire rapidement dessus pour continuer à lui raconter mes journées en insistant bien sur l'essentiel : la quantité. parce qu'il faut en voir, des hommes, pour vivre. Au moins six par jour. Sept ou huit c'est mieux, mais six , c'est déjà bien.
Quand j'ai fini de travailler, je ne perds pas de temps. Je baisse ma jellaba, y lisse un pli et j'attends. Que celui du moment remonte sa braguette ou fume sa cigarette. Et qu'il descende pour que je retourne à ma place et en harponne un autre.
« Pour vivre, je me sers de ce que j’ai. » (p. 17)
Mais en Belgique, nous a dit sa mère, l'école, lui a envoyé les flics parce qu'elle l'avait tapé alors qu'il ne la laissait pas faire le ménage tranquillement. Le gamin l'a dit à la maîtresse et la maîtresse a appelé la police. Après ça, comment tu veux qu'ils soient normaux les gamins ?
Il m'entraîne vers le lit. de ton son poids, il s'écrase sur moi. Son ventre et le mien, ça en fait de la graisse. Bouchaïb aime m'étaler comme une couverture pour s'étendre sur moi. Il a de la chance que j'aie de quoi faire.
Un roman d'une grande puissance et originalité.
(Tahar Ben Jelloun)
Je me souviens très bien de la sensation que je ressentais pendant ces discussions qui ne voulaient pas finir. Au moment où il commençait à me cuisiner, c'est comme s'il insérait un ver dans mon ventre. Et que ce ver se mettait à manger ce qu'il y trouvait, très lentement. Il grandissait, grandissait, grandissait jusqu'à remplacer mes intestins, monter le long de ma gorge et arriver à ma tête. Une fois là-bas, la première chose que le ver faisait, c'était me boucher les oreilles. Il mangeait le conduit qui mène vers les orifices et mes oreilles s'obstruaient. Je n'entendais plus rien. Ça me donnait envie de vomir. Et ensuite, il s'attaquait à ma cervelle. J'avais envie d'enlever ma tête de mon cou, de la poser sur la table et de partir. Qu'il n'y ait plus rien, c'est tout. Pendant ce temps, Hamid continuait à bouger ses lèvres dans ma direction en posant question après question. Et à un moment, je ne sais pas pourquoi, il s'arrêtait de parler et il sortait. Il s'arrêtait au moment où j'étais vidée, où je me sentais creuse comme une cruche. Comme si le ver et lui n'étaient qu'un. Et qu'il savait qu'il n'y avait plus rien à manger.
La vieille Mina m'a dit l'autre jour: "On ne te paie pas pour comprendre. Retiens une chose : à bite éveillée, esprit embrumé."
Par contre si c'est un journal ou un bouquin, ça ne m'intéresse pas. Je n'aime pas la lecture. Tu prends un livre, tu te casses le cul à déchiffrer, tu dois imaginer, tu n'entends pas les voix des personnages, tu ne sais pas s'ils sont beaux ou pas. A vrai dire, je n'en ai jamais lu mais je sais que c'est une galère.