L'Obscurantisme postmoderne et la question musulmane

Réduire la complexité à la simplicité, ignorer la réalité, contredire à la fois l'histoire et l'ethnographie

Il n'est pas besoin de partager l'ensemble des analyses de l'auteur pour en apprécier les éléments les plus pertinents, un sens certain de l'humour et une forte critique de l'image construite ici d'un là-bas fantasmé.
« Par ''question musulmane'', nous entendons tout un ensemble de problèmes qui concernent l'islamisme politique vers lequel les regards du monde entier convergent depuis le 11 septembre 2001, et plus précisément certains mouvements sociopolitiques en quête d'un absolu inaccessible, un pays de cocagne sous règne divin. »
Prenons un aspect considéré comme une caractéristique, puis étendons le au-delà de son premier objet, d'abord l'islamisme politique, puis l'islam et enfin les musulmans !
Une construction imaginaire, mais aux effets bien réels « Il s'agit évidemment du processus habituel de fabrication des stéréotypes, dans lequel un fragment ethnographique est perçu comme un type ethnologique. »

Contre les théorisations hasardeuses sur la ''guerre des civilisations'', Aziz Al-Azmeh nous rappelle que « les civilisations ne se font pas la guerre. Ce sont les mouvements sociaux, les armées, les institutions qui la font ». Il replace son sujet dans l'histoire « Il reste que l'histoire, ainsi que nos souvenirs récents, confirment que la visibilité imposante de l'islamisme politique et social est un phénomène nouveau qui date d'une petite trentaine d'années, quoi qu'en pensent ses militants, admirateurs et détracteurs confondus ». Les images du présent ne sont pas la transcription d'une essence éternelle et l'islam n'est pas « le protoplasme transhitorique de tous les musulmans ». Il n'y a pas d'essence qui telle une pelote de laine donnerait pour ceux qui en inventent les fils, soit une identité irréductible, soit une incapacité à être moderne, soit une civilisation par nature autre, etc...
L'auteur met en relation « la dérive vers une conception de la différence comme incommensurable » avec les théories vitalistes du XIXème siècle, la parenté des thèses de la réaction en Europe, dans le monde arabe et des révisionniste orthodoxes juifs israéliens. Il nous rappelle aussi que les « islamistes politiques » sont animés « par une hostilité foncière envers le nationalisme arabe et le progrès social » (voir plus récemment l'attitude des Frères musulmans en Égypte lors du soulèvement contre le pouvoir).
J'ai apprécié les indications sur les espaces partagés (États-Unis, certains pays européens « où ceux qui vivent dans les zones ethniques éprouvent la même condition de délocalisation et de multiculture ») : « Ces espaces ne se différencient guère des cantonnements juifs de Borough Park, à Brooklyn, par exemple, ou de Finsbury Park, à Londres, où les hassidim coexistent avec une communauté musulmane également insulaire, et avec laquelle ils coopèrent sur des questions concernant l'éthique publique et les demandes éducationnelles multiculturelles. Al-Qaïda et la Jewish Defense League recrutent leurs membres dans ces conditions ».

Contre les assimilations hâtives, Aziz Al-Azmeh montre la différence irréductible des attaques suicides en Palestine « contexte politique spécifique, avec protagonistes discernables, des actions perpétrées dans une situation d'impuissance nationale presque absolue » d'avec le médiatique ''terrorisme international''. Il faut aussi de prendre en considération « qu'une atmosphère de complicité et d'indifférence entoure l'invasion israélienne des territoires palestiniens » Pour une critique plus générale des attentats suicides, je renvois aux textes d'Edward Saïd.

Pour l'auteur « le ''retour à l'islam'' est en fait une fuite en avant vers un lieu nouvellement inventé ». Quoiqu'en disent les commentateurs obscurantistes, dont les néolibéraux, la modernité, y compris dans ses pires aspects, est très largement partagée par toutes et tous.