Je referme le livre d'enquête passionnant et très documenté de
Jean-Loup Adénor et Thimotée de Rauglaudre en proie à l'effarement, une pointe de découragement, un sentiment de dépassement devant les multiples formes que revêt l'emprise de nos jours. Et avec un peu de honte, aussi.
Effarement, parce que même des figures que l'on respecte a priori pour leur oeuvre ou leur action se révèlent proches des mouvements aux dérives sectaires, et ce, au plus hauts niveaux des milieux politiques, économiques, culturels ou intellectuels. Ce qui tend à démontrer que la séduction de ces mouvements est large, et toujours ambiguë.
Dépassement, car lesdits mouvements sont nombreux, prennent des formes différentes, et ont repris du poil de la bête particulièrement depuis la séquence que nous avons vécue depuis 2019 ; le cocktail crise sanitaire, perte des repères, angoisse de l'avenir, isolement, amplification des réseaux sur internet et démission de l'État donne des effets redoutables. Les voies d'entrée sont souvent le bien-être, la santé ou la recherche spirituelle.
Découragement, car l'hydre est puissante, tandis que les structures d'aide aux victimes et les lanceurs d'alerte font un travail de fourmi, avec de moins en moins de subventions et de maigres moyens, sinon leur engagement personnel.
Même si on n'a jamais été victime d'emprise sectaire, même si on pense être à l'abri de sa rationalité et de son esprit critique, et même encore si on est sensible à ces questions depuis longtemps, les nombreux exemples, les témoignages de victimes, les mécaniques d'emprise décrits, les organisations citées et les liens avec des entreprises ou des personnalités, tout cela oblige à se remémorer ses propres expériences : les nombreuses occasions où l'on s'est intéressé à telle philosophie, religion ou pratique ésotérique, et pourquoi, à quel moment ; ces phrases anodines où quelqu'un en qui on avait confiance nous a vanté la biodynamie et son label, tel laboratoire de cosmétique, et qu'on n'a pas demandé pourquoi. Ou bien ces conversations sur l'homéopathie, des soins énergétiques, des expériences géniales avec tel "thérapeute" ou sur des croyances qu'on a écoutées gentiment, sans les remettre en question, parce qu'on respecte la liberté de chacun. Ou bien encore, ces récits sur des expériences de "thérapie" ou de participation à des réunions qui laissaient un sentiment de malaise, et sur lesquels on a essayé de faire la part des choses, tout en alertant sur des affirmations douteuses et les risques de violence psychologique.
Nous sommes entourés de croyances diffuses, qui semblent farfelues mais inoffensives. La plupart du temps, pour la plupart des gens, elles le sont, et font partie d'un folklore amusant, même si un peu perché.
C'est là qu'intervient la légère honte. Celle d'avoir cherché, moi aussi, dans des directions qui me semblaient séduisantes, des "façons de penser différentes", d'avoir lu certains ouvrages et contribué à enrichir leurs auteurs, alors même que tout cela me semblait inepte, trop facile et frauduleux intellectuellement. Et pourtant, d'avoir continué à "chercher", à vouloir croire parce que c'était la promesse d'un monde plus enchanteur, avec l'impression d'une ouverture d'esprit, qui n'est peut-être finalement qu'une certaine complaisance. Si la poésie est nécessaire, le doute et l'esprit critiques le sont également.
Peut-on encore trouver cela amusant ou intéressant, quand on voit les succès de librairie des ouvrages consacrés à ce mélange foisonnant de thèmes bizarres, de théories absurdes et de raccourcis douteux, ces phénomènes de mode apparus récemment et dont on ne cherche pas à connaître l'origine (pourtant dûment documentée) ? Faire le rapport entre le nombre d'ouvrage aux rayons développement personnel ou ésotérisme, et ceux traitant des dérives sectaires peut donner une idée de ce qui est en jeu. Peut-on les trouver inoffensives, ces théories et ces croyances, quand cela conduit des personnes à s'y engager d'abord un peu, puis un peu plus, puis totalement, laissant de côté leur esprit critique et y laissant aussi des plumes, financières et psychologiques, au risque d'être détruites ?
Comment ne pas se sentir démuni aussi, quand ce qui nous reste d'intuition critique flaire le danger mais qu'on ne sait pas comment alerter ? Quand les fronts se démultiplient ?
Les enjeux sociaux, politiques et financiers sont tels, qu'il faut sérieusement s'interroger sur les nombreuses complaisances qui font le jeu d'organisations et de ces mouvements qui jouent sur la faiblesse psychologique pour exercer une emprise, pour s'enrichir et prospérer, dans des sociétés où les structures collectives, les associations d'aide respectueuses des individus ou les organismes indépendants sont systématiquement mis à mal.
Face à toutes ces interrogations, la lecture du Nouveau péril sectaire, et sa poursuite par la consultation des nombreuses ressources citées, est éminemment utile et je l'espère salutaire.