La traversée dans ce monde des Doukhobors est chrétienne, elle est aussi une tragédie ..
Leur esprit est le Christ. Un peu éparpillés en Russie impériale, jamais occupant de villages entiers, toujours à raison de quelques familles, on les retrouve aussi en Europe occidentale, en Allemagne notamment, et en Allemagne ce sera plus dur encore pour eux, et pour se différencier des autres, dans la paix, ils vont le payer le prix fort. Rien ne leur sera épargné. Il est vrai que s'appeler secte vers la fin du 18 e siècle en Russie ou trouver le chemin de Damas sera un danger de tous les instants !.. Ils auront à coeur de protéger leurs enfants, leur femme aura un rôle de premier plan, à égalité avec l'homme puisque messagère du Christ. Leur enseignement religieux sera empirique, pas d'église, des réunions entre eux, pas de livres sacrés à préserver puisqu'ils n'en ont pas -on imagine l'importance de la transmission orale, ainsi pas d'exégèse, ce n'est pas recuit de chez recuit - ; dans leur univers bien mené, ils prévoient un abri pour recevoir les "laïques" comme ils disent. Dès que l'enfant possède des bribes perceptibles de foi, il portera la bonne parole.. ainsi essaimera leur société !..
Ce livre
Tolstoï et les Doukhobors publié par JW Bienstock en 1902 réunit les différents écrits de l'écrivain russe sur le sujet.
Tolstoï ne fut pas l'inspirateur des Doukhobors mais ceux-ci lui doivent tellement que le mettre à l'honneur à leur propos est une chose juste.
Pour le dire, il me paraît indiqué de donner la parole à Bienstock qui situe bien l'esprit dans lequel Tolstoï a engagé sa démarche à leur endroit :
".. Nous avons voulu non seulement prendre le grand écrivain comme le Génie bienfaisant de ce livre, mais rappeler qu'il fut aussi celui de la secte dont nous nous occupons. En effet, Les Doukhobors doivent tant à
Léon Tolstoï que son nom restera intimement associé à leur histoire. Celui-ci les a aidés en favorisant leur émigration au Canada. D'abord grâce à son intervention énergique, le gouvernement autorisa l'émigration des Doukhobors, et ensuite par diverses souscriptions et surtout par la vente de son admirable "
Résurrection", il leur fournit les moyens matériels de quitter la Russie.
Et depuis,
Léon Tolstoï a consacré une grand partie de son puissant talent à la cause des Doukhobors, et par une série d'articles retentissants, il a attiré l'attention du monde entier sur ces hommes qui mettent en pratique la loi chrétienne de la non-résistance au mal par la violence..."
Paul Birukof qui fut le secrétaire particulier et le biographe de Tolstoï nous renseigne que le meilleur article et le plus complet concernant la secte est celui d'
Ivan Strannik, publié en français dans la Revue de Paris du 15 octobre 1901. Birukov qui signe donc la préface de ce livre ne mache pas ses mots en disant que ce mouvement est remarquable tant au point de vue social, qu'au point de vue historique et moral. Il précise que la plupart des écrits collectés dans l'ouvrage présent n'ont pas jusqu'ici été traduits en français. Il est question ici de la vie présente des Doukhobors, de leur développement spirituel, des persécutions et des souffrances qu'ils ont endurées pour leur foi. Il termine sa préface par ces mots : " La foi de ces hommes, presque tous naïfs et frustes, à peine effleurés par la civilisation européenne, est si pure, si sublime, qu'elle mérite d'attirer l'attention des plus grands esprits, et celle de la foule qui cherche un modèle de vie, et qui est toujours heureuse de suivre les indications de la vérité. Celui qui écrit ces lignes connaît les Doukhobors, il a vécu avec eux, il a touché les blessures, que leur firent les nogaïki des Cosaques, et, à leur contact, il a puisé les forces morales qui lui ont servi d'appui dans la route difficile de la vie".
En gros, les Doukhobors qu'on voit émerger vers la fin du 18 e siècle nient les coutumes et les rites de l'Eglise orthodoxe. Les maillons du système impérial mettaient à l'index leur existence même, il était courant que des Doukhobors fussent déportés politiques dans des camps. Cela jusqu'au règne d'Alexandre 1er. "Les iconoclastes ne méritent pas de pitié", dit un gouverneur impérial.
Les Doukhobors veut dire en russe les lutteurs de l'esprit. Ils rejetaient les icônes, et buvaient du lait (moloko) pendant le carême et mangeaient de la viande. Leur fondement se forge sur une tradition confusément rapportée, à savoir que 3 adolescents Hanani, Azaria et Misaël furent martyrs à cause de leur refus d'adorer l'image d'un personnage de la bible hébraïque et de l'ancien testament. Ils montrent ainsi qu'ils sont prêts à accepter la souffrance des anciens, leur croyance est chevillée au corps. Ni paresse, ni ivrognerie dans leurs moeurs ! Ils paient l'impôt. Ceux qui enfreignent ces règles sont exclus de leur société. Ils ont certainement le tort de ne participer aux fêtes des paysans ordinaires puisque ça leur vaut des ennuis ! Leur mot apostolique le plus fort est l'amour du prochain. Leur activité principale est l'exploitation de la terre.. mais être aidés de la main de Dieu c'est mieux !