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EAN : 9782385530044
240 pages
La manufacture de livres (24/08/2023)
3.44/5   109 notes
Résumé :
Un portrait de femme moderne, active, rebelle, qui fait bouger les lignes, voilà ce que cherchent tous les éditeurs pour la prochaine rentrée littéraire. Et parmi eux, Delafeuille a intérêt, s’il veut garder son poste, à dénicher le livre qui sera au centre de l’attention en septembre. Mais contre toute logique commerciale, le roman qui l’attire vraiment est celui de Luc, auteur un rien misogyne auquel il est depuis longtemps lié. L’écrivain a décidé de consacrer so... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (38) Voir plus Ajouter une critique
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°°° Rentrée littéraire 2023 #7 °°°

Delafeuille, éditeur parisien, est sommé par sa directrice commerciale de trouver LE livre de la rentrée, « un bon texte est un texte qui se vend » lui dit-elle. Il se met alors en quête de dénicher la perle rare, celle qui sera compétitive et saura se démarquer de la mêlée. Jusqu'à passer quelques jours chez un écrivain misogyne qu'il suit depuis longtemps et lui propose son dernier roman centré sur sa femme Delphine, pas du tout dans l'air du temps post MeToo, mais qui l'attire contre toute logique commerciale … tout autant que Delphine le fascine au point d'en tomber amoureux.

Ceux qui connaissent l'auteur seront enchantés de retrouver son héros récurrent Delafeuille, après L'Espion qui venait du livre et le Dernier thriller norvégien. Les autres découvriront un auteur d'une grande facétie qui joue de façon jubilatoire avec le lecteur tout en le faisant réfléchir sans prise de tête.

Un écrivain qui porte le même prénom que lui, Luc, et dont les romans portent les mêmes titres que ceux de Chomarat. Des fausses maisons d'édition parfaitement identifiables. Une fausse autofiction qui, par sa folie douce, fait penser au film Dans la tête de John Malkovitch. Par une mise en abyme malicieuse en diable et un procédé du livre dans le livre astucieusement utilisé, l'auteur alterne ou superpose plan fictionnel et plan réel pour construire un roman gigogne dans lequel tout se mélange jusqu'à fusionner en une joyeuse métafiction.

C'est déstabilisant au départ parce qu'on sent bien que quelque chose cloche, mais une fois entré pleinement en lecture, on se marre beaucoup et on se laisse charmer par l'absurde et le ton décalé du récit. Les scènes sur le monde éditorial sont croustillantes d'ironie, entre les piques sur les attentes supposés des lecteurs, la tambouille business des maisons d'édition très éloignée de toute prétention qualitative ou encore les écrivaillons de confinement qui se prennent pour des génies ( « tous ces gens qui écrivaient et qui ne lisaient pas. le peer to peer, on y était presque. Un lecteur par auteur. » )

On se marre, oui, mais sans pour autant que Luc Chomarat ne verse dans le cynisme gratuit. Mais derrière cette désinvolture apparente, se dessine une réflexion tous azimuts sur le processus créatif. Par exemple, comment écrire sur une femme quand on est un écrivain homme ? Comment se mettre dans sa peau en évitant le male gaze et de se laisser aller à une « masculinité débridée » … surtout si on appartient à une génération pour laquelle comprendre les transformations de son époque dans le domaine relations hommes-femmes ne va pas de soi ?

Et puis il y a un très bel hommage à la littérature, celle qui fait voyager chaque lecteur dans sa propre imagination avec son magie enivrante donnant l'impression que tout est possible, avec notamment le personnage de Delphine « une femme unique comme on n'en rencontre qu'une seule fois dans une vie, ou, ainsi qu'il l'avait précisé, comme il n'en existe qu'en littérature , « une femme dont on tombe amoureux dès l'enfance » ( j'adore cette phrase ! ).

Un exercice de style effervescent mené avec intelligence et tendresse.

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C'est toute chiffonnée que j'écris ma bafouille, après avoir longuement hésité à le faire.
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Par souci d'honnêteté, je vais commencer par préciser que je me suis emparée de ce livre après avoir lu les retours plus qu'enthousiaste de mes babelpotes, et je dois reconnaître qu'il y a sans aucun doute dans ce roman tout ce qu'ils y ont vu.
Mais moi je suis passée complètement à côté, mais alors très très loin, d'où ma déception, et ce n'est pas la faute de l'auteur.
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L'histoire démarrait très bien, j'ai embarqué de suite.
Un éditeur est sommé par la maison d'édition pour laquelle il travaille de dénicher le livre de la rentrée.
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Nous faisons sa connaissance alors qu'il prend quelques jours de vacances chez un ami auteur.
La nature, les zoizos, le chien, le gamin, la forêt et la nature tout autour, voyez le tableau, c'est idyllique.
Seulement voilà, le mec tombe raide dingue amoureux de la femme de son pote.
S'en suivent moult pages consacrées à la fameuse Delphine.
Je me suis ennuyée, j'ai mis un temps fou à venir à bout de ce roman.
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Sauf qu'il y avait davantage à comprendre... mais j'aurais dû aller relire les critiques de mes amis avant de me plonger dans le livre, peut-être que j'aurais mieux appréhendé l'intrigue.
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Voilà, je suis désolée de vous doucher dès l'aube ou presque, mais ne laissez pas ce livre de côté à cause de mon retour, que j'ai essentiellement écrit pour ceux qui comme moi, seraient déçus par leur lecture.
Non, vous n'êtes pas seuls ! :)
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Mais allez plutôt lire les autres critiques avant de rejeter le récit d'emblée.
Bonne lecture.
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Devenu spécialiste de la satire du milieu éditorial français avec L'espion qui venait du livre, le polar de l'été, Un petit chef-d'oeuvre de littérature et le dernier thriller norvégien, Luc Chomarat convoque une nouvelle fois son personnage de prédilection, l'éditeur de fiction Delafeuille, pour un autre de ses drôles et vertigineux romans gigognes qui font de la mise en abyme un virtuose et infini jeu de miroirs.


Sa nouvelle directrice l'a mis au pied du mur : « un bon texte est un texte qui se vend. ». Alors, qu'il cesse de se piquer de littérature et s'active plutôt à dénicher la pépite commerciale qui, en s'imposant comme « le livre de la rentrée », leur rapportera le jackpot. Voilà donc ce bon vieux Delafeuille, s'il veut sauver sa tête et son emploi, contraint à la chasse au livre si bien dans l'air du temps qu'il sera de bon ton de se l'arracher, peu importe s'il ne vaut en réalité pas tripette. Il y a bien le roman du neveu de sa directrice, entièrement constitué de SMS avec les fautes qui vont avec. Mais il lui faudrait aussi un portrait de femme bien actuel, avec sa dose de « cul féministe », à défaut d'une louche de maladie, de malheurs, de planète en péril ou de dénonciation du capitalisme.


Or, invité quelques jours chez l'un de ses auteurs et amis, Luc, qui s'est établi au vert dans le Sud-Ouest, loin du cirque parisien, notre éditeur tombe sous le charme de l'épouse, Delphine, par ailleurs au coeur du livre que son mari a décidé de lui consacrer. Hélas, épanouie et parfaite dans son rôle d'épouse, de mère et de femme d'intérieur, elle est l'antithèse absolue de l'égérie féministe. Impossible donc de miser sur ce manuscrit en cours d'écriture, où il se découvre d'ailleurs lui aussi personnage. Mais comment peut-on retrouver ce que l'on est présentement en train de vivre dans un texte rédigé quelque temps auparavant ? Convaincu de sa réalité, Delafeuille ne serait-il en vérité que fictif ? Personnage, il l'a déjà été, puisque Luc l'a déjà fait figurer dans de précédents livres… signés Chomarat ! Luc et Chomarat ont d'ailleurs tous deux le même titre pour leur dernier livre… « le livre de la rentrée » !


Désormais imbriqués jusqu'à l'inextricable, réel et fiction se font, pour le plus grand plaisir du lecteur, les complices d'une nouvelle machination littéraire de l'auteur, qui, moins loufoque que les précédentes, gagne en subtilité pour autant nous amuser que brocarder avec malice le monde éditorial et ses travers. Réjouissant et savoureux, virtuose dans l'art de nous désorienter à mesure que se creuse sa savante mise en abyme, le récit parvient haut la main à renouveler une partition dont Luc Chomarat a fait sa martingale.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Le pitch, pour faire simple (en attendant que beaucoup de choses se dédoublent) : Luc l'écrivain (le double de Luc Chomarat), invite Delafeuille son éditeur (qui ne se souvient plus de son prénom) pour un week-end de repos dans le Sud-Ouest, à Farsac. Et il en a bien besoin Delafeuille, la rentrée littéraire approche et la directrice commerciale lui met la pression pour mettre la maison Mirage au premier plan. Il a bien un roman (« de la merde » selon lui-même) à proposer et à propulser, mais bon. Toujours est-il que Delafeuille tombe sous le charme de Delphine, la compagne de Luc. Ça tombe bien, Luc est en train de consacrer son nouveau roman à Delphine. Oui mais voilà, Luc, un brin macho sur les bords (voire plus), un homme resté scotché au 20ème siècle, ringard aux entournures, peut-il cadrer son texte avec les standards metoo ? D'autant que Delphine non plus n'est pas vraiment à l'image de la femme héroïque que le monde de l'édition et les lectrices (on ne parle pas beaucoup de lecteurs par ici, stats obligent) attendent aujourd'hui.

On pense à Ferri et Larcenet dans leur mise en abyme du « Retour à la terre », Fabcaro peut-être pour l'humour déjanté. Mais ici en plus du dédoublement des personnages et de celui des livres (celui qu'on lit et le manuscrit que Luc est en train d'écrire), il y aura aussi les lignes de la fiction qui seront franchies voire bousculées sans hésiter. Il ne faudra pas être surpris par un Delafeuille intervenant en direct par texto dans une scène du livre écrit par Luc – pas à son goût –, ou des voisins qui se présenteront comme personnages secondaires. le lecteur sera invité à naviguer dans des situations formelles cocasses en regard de la littérature traditionnelle, voire des temporalités embrouillées entre imagination et réel. Tout cela pourrait paraître compliqué. Mais pas de panique, ça reste lisible, l'écriture sobre de Luc Chomarat bienvenue dans l'imbroglio. Et puis c'est souvent drôle. Et intéressant. D'autant que le roman évoque la littérature, dévoile aussi un monde de l'édition et du livre étrangement proche de ce que l'on peut imaginer de sa version sombre en en étant éloigné, entre diktats économiques (« les commerciaux font la loi dans le livre ») et diktats idéaux pour l'économie : «Bon, vous savez comme moi ce qui marche. le capitalisme c'est pas bien, et ça il faut le dire, il faut avoir le courage de le signifier courageusement. Quoi d'autre ? La planète est en péril, d'après ce que j'ai entendu dire.... Et puis les femmes, oubliez ce que j'ai dit, les femmes qui en ont marre, c'est toujours une bonne idée. Et la maladie, le malheur sous toutes ses formes. Un peu de cul. du cul féministe, évidemment, je ne vais pas vous apprendre le métier ».

Voilà en tout cas un livre qui balance entre roman formel et diatribe d'un milieu, un méta-roman en mise en abyme assez barré, intelligent et fin aussi, iconoclaste, le plus souvent drôle dans son détournement de la littérature, corrosif dans sa description du milieu de l'édition. Il interroge à sa manière transgressive réalité et fiction, avec beaucoup d'humour. N'empêche... En cette période de prix automnaux, ne cherchez plus « le livre de la rentrée » (avec les guillemets)
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Luc Chomarat a-t-il vraiment écrit le livre de la rentrée ?

Ce serait plutôt cocasse car l'auteur, plutôt facétieux, se livre ici à une caricature à peine voilée du monde de l'édition.
Dans ce récit, il engage une nouvelle fois Delafeuille, un personnage de fiction déjà présent dans d'autres romans, pour partir à la recherche du roman idéal de la rentrée littéraire, le roman qui se vendra bien.
Sous la pression de sa directrice commerciale, il se doit de trouver la perle rare. Il se rend chez Luc un ami écrivain alors en plein travail d'écriture, sur un portrait de femme fortement inspiré par son épouse. Mais ses idées et son comportement trop rétrogrades ne sont pas vraiment en phase avec les tendances du moment...

Luc Chomarat nous invite ici à réfléchir, souvent de façon ludique, au livre et à la création littéraire sous de nombreux aspects. Les sujets tendances, sensibles ("le male gaze"), le marketing, la commercialisation, rien n'échappe à la plume vivace de l'auteur qui n'hésite pas à faire des clins d'oeils à de nombreux auteurs...dont lui même...
Il se livre en effet à un bel exercice de métafiction où la fiction et la réalité vont s'entrechoquer, parfois nous perdre un peu, mais sans jamais sombrer dans la prise de tête. Les maîtres du genre comme Cervantes ou Italo Calvino auraient apprécié.







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critiques presse (1)
Bibliobs
29 septembre 2023
Avec « le Livre de la rentrée », roman drôle et réjouissant, l’auteur de polars offre une satire bien sentie du milieu littéraire.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
Vous savez, monsieur Delafeuille, on ne sait pas qu’on est vieux. On ne sait pas quand cette chose-là arrive. Ce sont les autres qui vous le disent. Leur regard. Ou le fait qu’ils ne vous regardent plus.
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— La difficulté, reprit Delafeuille, c’est d’échapper au matraquage médiatique. Pour les livres comme pour le reste. Aller chercher dans les rayons du fond, en prendre un au hasard. Mais personne ne fait ça.
— Oui, c’est vrai.
— Déjà, vous avez des rayons de prédilection. Le polar, la science-fiction. Le développement personnel. Ou la littérature, bien sûr. Mais vous n’entrez pas dans une librairie, en fait. Vous entrez dans votre rayon habituel.
— C’est très juste, dit Nicole. D’ailleurs, les gens qui achètent le livre de la rentrée, c’est surtout pour des raisons sociales, non ? C’est un peu comme Roland-Garros. C’est ce qu’on fait en septembre-octobre. Pas sûr qu’ils le lisent, par contre.
— Puis après, à Noël, tu offres le Goncourt, dit Muriel en riant. On ne va pas te reprocher d’avoir offert le Goncourt.
— Tout ça n’a pas grand-chose à voir avec la littérature, conclut Delafeuille.
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La dernière rentrée littéraire, c’était hallucinant, dit Muriel. Je me souviens, quand j’étais gamine, d’un seul coup en septembre, ils poussaient les romans sur le côté pour vendre des manuels scolaires. T’as l’impression que c’est un peu pareil, sauf que c’est plus des manuels scolaires… Ils poussent Tolstoï et Kawabata pour faire de la place à des gens qu’on aura oubliés l’année prochaine.
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Je vendais du livre scolaire. Tous les ans il y avait des appels d’offres, émis par la coopération. Ce sont des marchés énormes. Énormes. Et les familles africaines mettent plus d’argent dans les livres scolaires que dans les médicaments, vous savez. Un enfant qui meurt, c’est moins grave qu’un enfant qui ne sait ni lire ni écrire, parce que celui-là n’a pas d’avenir. On parlait de millions. On s’est vraiment goinfrés. Les gens pour qui je travaillais, en tout cas.
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(Les premières pages du livre)
Delafeuille tomba immédiatement sous le charme de Delphine. Sa haute silhouette, son élégance, la vivacité de sa démarche, une
certaine gaucherie préservée, ce sourire solaire et désarmant, elle était bien telle que Luc l’avait décrite: une femme unique, comme on n’en rencontre qu’une seule fois dans une vie, ou, ainsi qu’il l’avait précisé, comme il n’en existe qu’en littérature.
– Bonjour. Je suis Delphine.
– Oui, j’avais deviné.
Malgré lui il s’inclina légèrement. Depuis l’arrivée du Covid en Occident on n’avait plus à poser la question de rigueur: «On s’embrasse?» On ne s’embrassait plus. On ne se serrait plus la
main, et quant à singer ces gestes des jeunes générations, il n’en était pas question.
– Luc est en plein travail. Vous le connaissez, il est hors d’atteinte dans ces moments-là. J’ai proposé de venir vous chercher. Il ne l’aurait pas demandé, mais j’ai bien vu qu’il était soulagé.
Il rit avec elle. Il se sentit immédiatement à l’aise, et remercia le ciel de cette aubaine. Il n’était en général pas à l’aise avec les femmes, et moins encore avec les femmes des autres. Surtout, combien de fois avait-il perdu un ami, parce que celui-ci avait décidé de convoler avec une créature objectivement insupportable?
– Je suis garée là-bas. Voulez-vous que je vous aide?
– Non, ça va, dit Delafeuille en balançant son sac sur son épaule.
Je suis un vieux monsieur, mais pas encore tout à fait impotent.
– Je vous ai vexé.
– Pas du tout. Nous avons le même âge, Luc et moi, vous savez. Ou vous aurait-il menti sur ce point? À nouveau, il rit avec elle. Ils sortirent de la gare. Le soleil était encore haut, c’était presque l’été indien, ici dans le Sud-Ouest. La
petite valise à roulettes de Delafeuille faisait un bruit infernal sur le bitume, qui lui fit prendre conscience du silence qui régnait à Farsac. Que disait encore son guide? Mille cinq cents habitants, quelque chose comme ça. 1275 âmes. Elle tendit le bras et deux lumières brèves ponctuées d’un étrange bruit de baiser indiquèrent que c’était là sa voiture, une petite BMW électrique. Comme beaucoup de vrais Parisiens, Delafeuille n’y connaissait rien en automobiles, sujet qui ne l’intéressait absolument pas, mais il ne comprenait pas très bien l’utilité de ce genre de voiture, évidemment pensée pour la ville, dans un lieu aussi isolé. Il se garda bien d’en faire la remarque, ne sachant comment elle le prendrait.
Elle l’invita à poser ses bagages sur la banquette arrière, le coffre étant «encombré de tout un tas de choses pour les animaux».
La voiture démarra dans un silence total, qui le prit au dépourvu. Il n’était pas habitué aux voitures électriques.
– Ah, c’est étonnant. Alors, vous y croyez?
– Quoi donc?
– La transition écologique, tout ce dont on nous rebat les oreilles depuis quelques années.
– Oh, Luc et mon fils ont eu cette discussion interminable sur l’impact réel de…
– Oui?
– Vous en parlerez avec eux, si vous voulez. (Elle rit à nouveau, un rire joyeux, clair, enfantin, si différent des ricanements mondains auxquels il était habitué.) Vous connaissez Luc, c’est une
encyclopédie vivante. Il paraît qu’un expert avait prévu la fin des énergies fossiles pour 2015. Et il n’y a jamais eu autant d’essence à disposition, semble-t-il. Mais je la trouve très mignonne, cette voiture. Et puis c’est tellement agréable à conduire.
Ils traversèrent le petit village de Farsac, que Delphine qualifia d’adorable, et qui l’était effectivement, avec ses maisons de pierre
ocre aux tuiles carmin. C’était peut-être un peu trop propre à son goût à lui, il trouva que ça avait un petit côté Disneyland. Elle lui montra au passage la cour de l’école, sur laquelle on avait une vue plongeante depuis la petite rue qu’elle emprunta, le village étant sur une butte.
– C’est Tommy, là-bas. L’anorak rouge. Vous le verrez ce soir.
Delafeuille hocha la tête. Il était difficile d’imaginer cette femme avec des enfants, il n’aurait su dire pourquoi. Peut-être parce qu’elle semblait si jeune. En contrebas coulait la Garonne, et au-delà s’étendaient les champs de vigne, à perte de vue dans la lumière dorée de cette matinée, et Delafeuille fut frappé de l’impression de plénitude qui émanait du décor. Décidément il avait eu raison d’accepter l’invitation de Luc. Il se demanda si lui aussi n’allait pas quitter Paris, un de ces jours.
– Là, c’est mon coiffeur, dit Delphine en montrant une petite boutique blanche et nette comme une clinique, encastrée entre deux maisons en pierre. Un homme très demandé. Il n’y en a pas d’autre dans un rayon de vingt kilomètres.
Delafeuille était fasciné par ses mains, ses gestes aristocratiques tandis qu’elle désignait tour à tour l’église, le restaurant gastronomique et le club du troisième âge.
– Nous irons bientôt, dit-elle en riant. Je veux dire, au restaurant.
Delafeuille rit aussi, cette fois par politesse. Il n’aimait pas trop penser à son âge.
Moins d’un kilomètre après la sortie du village, elle engagea la voiture dans une route étroite qui indiquait la direction d’un lieu-dit: les Trois Ormes. Quelques propriétés distantes et ombragées se succédèrent. La cinquième était celle de Luc. Delphine prit un bip sur la console centrale et le portail de fer forgé s’écarta à l’approche de la BMW.
– Nous y sommes, dit-elle.
Elle se gara à l’ombre d’un grand arbre qu’il renonça à identifier, à côté d’une autre voiture, un gros pick-up aux marche-pieds chromés comme on en voyait dans les films américains.
Devant eux des VTT étaient alignés sous un petit abri en bois.
Il mit pied à terre. Il ne découvrait pas vraiment la maison, dont Luc lui avait envoyé des photos par courriel. Mais elle était là dans son contexte, baignée de l’odeur des pins et du chant des oiseaux : une vieille maison de pierre avec un étage, flanquée d’un conduit de cheminée extérieur et d’une extension au design
moderniste, mélange savamment orchestré de grandes baies vitrées et de poutres de chêne. Une pelouse soigneusement entretenue, des massifs de fleurs, des cyprès. «Écoute, ce n’est pas la mafia russe, avait dit Luc au téléphone, mais c’est quand même une jolie petite maison avec piscine. Tu auras ta chambre, et même une entrée indépendante.»
Il chercha la piscine des yeux, ne la vit nulle part, en conclut qu’elle devait être derrière la maison et qu’il y avait donc encore du terrain. Luc faisait partie de ces rares privilégiés qui arrivent à vivre de leur plume, et semblait-il, à en vivre très bien. Rien d’étonnant. Par curiosité, Delafeuille avait regardé où en étaient ses ventes avant de venir. De ce côté-là, tout allait bien, les GfK étaient bons. Il se sentit flatté de faire partie de ses amis, et même d’être suffisamment intime pour qu’on l’invite à passer quelques jours avant l’arrivée de l’automne.
– Je vais vous montrer votre chambre. Luc s’est enfermé dans son cabanon. Il a dit qu’il nous rejoindrait pour l’apéritif. Donc, je ne sais pas, si vous voulez d’abord vous rafraîchir…
Il la suivit à l’intérieur de la maison. Comme il s’y attendait, c’était décoré avec goût. Le salon et la cuisine américaine, meublés avec précision, semblaient tout droit sortis d’un film des années
cinquante.
La chambre d’amis était à l’étage, au fond du couloir, à côté de la salle de bains.
– C’est le seul problème, il n’y a qu’une salle de bains. Elle est très grande, très agréable, mais voilà. Nous devons nous la partager. J’ai mis une serviette sur votre lit.
– C’est très aimable. Merci de m’accueillir chez vous.
– C’est un honneur. Donc, c’est bien vous. Il la regarda, un peu surpris.
– Delafeuille, dit-elle. L’éditeur de fiction. Il mit un moment à comprendre, puis se détendit soudain.
– Ah, oui. Oui, bien sûr, c’est moi. J’avais oublié cette histoire.
Elle lui sourit.
– Bon. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, je suis sur la terrasse. Derrière la maison, précisa-t-elle.
Elle virevolta sur elle-même et descendit l’escalier en sautillant, à la manière d’une adolescente. Troublé, Delafeuille posa ses
bagages, s’assit sur le lit et, sans trop se rendre compte de ce qu’il faisait, déplia la grande serviette éponge sur ses genoux. Il soupira. L’éditeur de fiction.
Il n’avait pas envie de vivre ça à nouveau.

Il regarda autour de lui. La chambre, comme le reste de la maison, était élégante et sobre, dans les tons pastel. On avait l’impression de se déplacer à l’intérieur d’une estampe japonaise.
Par la fenêtre entrouverte lui parvenaient le silencieux mouvement des arbres et, de loin en loin, le chant étrange et strident d’un oiseau isolé. L’Oiseau à ressort, pensa-t-il. Il haussa les épaules.
«Est-ce que tu peux arrêter cinq minutes de penser à des livres? Tu es en vacances… Ou presque.»
Oui, il avait eu raison d’accepter l’invitation. Les derniers mois à Paris avec le port du masque avaient été éprouvants, en tout cas pour lui, et il espérait trouver ici le calme et la verdure, et ma foi, c’est bien ainsi que les choses se présentaient. C’était calme et c’était vert. Et Delphine était charmante.
Pourtant, quelque chose le mettait mal à l’aise.
Il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. C’était absurde. À nouveau, il haussa les épaules. Tout va bien, se dit-il. Ce n’est que moi. Je n’ai pas l’habitude que les choses aillent bien. Cela
doit m’angoisser, d’une certaine façon.
La serviette toujours en main, il se dirigea vers la fenêtre, l’ouvrit en grand. La chambre donnait sur l’arrière de la maison: un petit toit de tuiles qui devait surplomber la terrasse, au-delà la piscine, plus de dix mètres de long semblait-il, le tour en bois de teck brillant comme du métal, plus loin du vert et des arbres, et dans le fond de la propriété, un petit local en pierres apparentes,
au toit visiblement refait à neuf, qui ressemblait à un modèle réduit de l’habitation principale et qu’il devina être «le cabanon».
«Les auteurs à succès se ressemblent tous, pensa-t-il. Une jeune et jolie femme, de d
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Luc Chomarat vous présente son ouvrage "Le livre de la rentrée" aux éditions La Manufacture de livres. Rentrée littéraire automne 2023.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2886498/luc-chomarat-le-livre-de-la-rentree
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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