A Karachi, les rues étaient animées, jour et nuit. Le trafic ne s'interrompait jamais. Les chameaux défiaient les véhicules de toute forme et de toute espèce. Les scooters-taxis se faufilaient au milieu des autocars si délabrés qu'on se demandait comment ils réussissaient encore à rouler, des tongas, des tramways rouillés et des carrioles tirées par des ânes ou des hommes. [...] A présent Karachi lui paraissait lointaine, presque irréelle. Elle avait parfois l'impression d'avoir seulement rêvé de Bohri bazar où se vendaient les fleurs et les oiseaux, du grand jardin avec une mosquée rose et blanche, des nuées d'affamés qui réclamaient des pièces de monnaie.
Une bande d'un gris blafard apparut à l'horizon. Elle distingua un bourg plus important que son village qui s'étalait des deux côtés du chemin. Il n'y avait pas d'enceinte protectrice, comme chez elle. Sous l'incessante pluie, les logements évoquaient de vilains tas de boue. Cela ne pouvait être que Kohat. Elle frissonna. L'endroit lui parut sinistre. L'instant d'après, elle se redressa, malgré ses épaules endolories et son sahri qui lui collait au corps, entravant ses mouvements. Elle passa la langue sur ses lèvres sur ses lèvres sèches et craquelées. Non, Kohat n'était pas laid! elle était toute prête à l'aimer, car celui qui, un jour, l'avait élue pour reine y était né.
Chez nous, les anciens racontent de certains guerriers qu'ils se battent, tels des tigres. Mais, aussitôt la bataille achevée, ils sombrent dans un engourdissement profond qui dure pendant des heures. Toi aussi, tu viens de livrer un combat. Je suppose que tu l'avais longuement préparé à l'avance.