Élisabeth Roudinesco

En 1791, une femme appartenant à la secte des quakers meurt dans des conditions suspectes à l'asile d'York, dont la renommée est déplorable. Un gros négociant de thé et de café de la ville, William Tuke, décide alors de consacrer ses efforts à la création d'un établissement à caractère humanitaire, destiné à accueillir les insensés appartenant à la Société des Amis. (...)
Pendant trois générations encore, grâce à ses descendants, l'idéal philanthropique quaker influencera la psychiatrie britannique.

Mais si la folie au Moyen Age est chrétienne, elle est également ambigue, oscillant sans cesse entre le diable et le Bon Dieu, et si parfois le simple d'esprit peut faire figure bénéfique d'envoyé du Ciel, plus souvent le fou inquiète par ses propos, par sa turbulence, par son agressivité, incohérences dans lesquelles on ne peut que voir la manifestation du démon qui l'habite. La religion heureusement dispose de recours, qu'il s'agisse de l'exorcisme souvent représenté par les artistes du XVe siècle, ou plus massivement des pèlerinages aux lieux de culte des innombrables saints guérisseurs.

Au Ve siècle avant notre ère, l'Occident va connaître sa révolution culturelle médicale avec Hippocrate. Trouvant ses fondements chez des pythagoriciens comme Alcémon de Crotone ou Empédocle d'Agrigente, à qui l'on doit la théorie des quatre éléments constitutifs de l'univers, d'où naîtra la doctrine des humeurs et des tempéraments, la médecine commence à s'affranchir de l'héritage religieux primitif pour se placer sous le double signe de l'observation et de la philosophie.

Au livre de Samuel composé voici quelque 3000 ans , la Bible nous apprend que Saul agité par un mauvais esprit (venant de l'Eternel) se trouvait soulagé lorsque David prenait sa harpe et jouait de sa main : "Saul alors respirait plus à l'aise et le mauvais esprit se retirait de lui." (...)
Si nous citions ces textes, c'est pour illustrer le fait que la maladie, qu'elle soit du corps ou de l'esprit, fut d'abord étroitement liée au sacré. Dans une vision "surnaturelle" du fait pathologique, le prêtre, le sorcier, le chaman, l'homme-médecine ne font qu'un et savent recourir aux drogues aussi bien qu'aux moyens psychologiques et aux mises en scène propres à frapper l'imagination pour venir à bout du mal.

Au coeur de la cité orléanaise, depuis le règne des premiers Capétiens, les secrets de fabrication étaient si bine gardé que même les experts de la fin du XIXè siècle croyaient encore à la légende noire d'un vinaigre confectionné à l'aide d'excréments humains. C'est ainsi que le très sérieux Domachy racontait que des entrepreneurs avaient imaginé de transformer des pièces de vins en lieux d'aisance où des ouvriers recevraient l'ordre d'aller se soulager. En quelques jours le liquide était converti en vinaigre exquis, qui ne gardait pas la moindre trace de la substance ayant servi à la fermentation.
De père en fils, les buffetiers, les sauciers, les maîtres vinaigriers, les moutardiers avaient tout fait pour contester cette rumeur : elle discréditait une tradition artisanale qui remontait à la nuit des temps. Et, pour relever le défi, la grande confrérie invoquait les glorieux ancêtres d'une époque héroïque. Elle se souvenait qu'Hannibal avait ouvert la route des Alpes à ses éléphants grâce à de fortes coulées du précieux liquide répandues sur la neige, ou encore que le Christ s'était désaltéré au Golgotha en posant ses lèvres sur une éponge imbibée que lui tendait un soldat ivre. Aussi ancien que le vignoble, le vinaigre était le vin des pauvres, des mendiants et des légionnaires.

[Définition des psychotropes]

Substances chimiques douées d’un « tropisme psychologique, c’est-à-dire qui sont susceptibles de modifier l’activité mentale, sans préjuger du type de cette modification »[…]

On retrouve dans ce principe l'idée qu'Oedipe doit se faire à la fois le restaurateur de l'autorité, le tyran coupable et le fils rebelle. Ces trois figures sont indispensables à l'ordre famillial.

L'ordre familial économique bourgeois repose dès lors sur trois fondements: l'autorité du mari, la subordination des femmes, la dépendance des enfants.

[L'inconscient est] un processus servant à maintenir hors de toute forme de conscience, toutes les représentations pulsionnelles susceptibles de troubler la conscience subjective.

[Freud] distingue le conscient , équivalent de la conscience, le préconscient, instance accessible au conscient, enfin, l'inconscient "autre scène", lieu inconnu de la conscience.

Elle permet ( la parole ) au patient de se déprendre de son illusoire prétention à la maitrise de soi et au thérapeute d'inventer des interprétations libératrices.

Être inconscient, c'est commettre des actes insensés. Avoir un inconscient, c'est avoir en soi cette maison, ce lieu qui se dérobe à notre conscience, rempli d'imaginaire, d'intuitions et d'émotions.

A propos de ‘La création de la société psychologique du mercredi’…
En créant ce cénacle, ils cherchaient à calmer leurs angoisses et à donner corps à leur rêve d’un monde meilleur. Quand ils parlaient de leurs cas cliniques, ils se référaient le plus souvent à eux-mêmes, à leur vie privée souvent tumultueuse, à leur généalogie familiale compliquée, à leurs névroses, à leur identité juive, à leurs troubles psychiques et sexuels, à leur révolte contre leur père et souvent, à leur mélancolie profonde.
En un mot, ils formaient en quelque sorte une famille élargie et ressemblaient eux-même à leurs patients qui étaient issus d’ailleurs de la m^me classe sociale que la leur.

C’est ainsi que la grade « furia » chirurgicale qui déferla sur l’Europe de 1850 à 1890 frappait autant l’enfant masturbateur que la femme « hystérique ». N’étaient ils pas l’un et l’autre, comme d’ailleurs l’inverti (l’homosexuel) les acteurs les plus flamboyants de ce « dangereux supplément » ?

Ils avaient en tout cas pour point commun, aux yeux du regard médical, de préférer une sexualité auto-érotique à une sexualité procréatrice.

L’amour est donc, dans sa puissance première, et quel qu’en soit l’objet, un acte sans condition, un acte de liberté.

« L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas », ou encore : « Je te demande de refuser ce que je t’offre parce que ce n’est pas ça. ».

Plusieurs oppositions entrent en jeu dans l’amour : aimer et être aimé, aimer sans être aimé, aimer et haïr, aimer être haï, etc. En bref, la question est aussi vaste que le mot qui la désigne.

Chaque école psychanalytique a son Freud – freudiens, post-freudiens, kleiniens, lacaniens, culturalistes, indépendants –, et chaque pays a créé le sien. Chaque moment de la vie de Freud a été commenté à des dizaines de reprises, et chaque ligne de son œuvre interprétée de multiples manières, au point que l’on peut dresser une liste, à la façon de Georges Perec, de tous les essais parus sur le thème d’un « Freud accompagné » : Freud et le judaïsme, Freud et la religion, Freud et les femmes, Freud clinicien, Freud en famille avec ses cigares, Freud et les neurones, Freud et les chiens, Freud et les francs-maçons, etc. Mais aussi, à l’intention de nombreux adeptes d’un anti-freudisme radical (ou Freud bashing) : Freud rapace, Freud ordonnateur d’un goulag clinique, démoniaque, incestueux, menteur, faussaire, fasciste. Freud est présent dans toutes les formes d’expression et de récits : caricatures, bandes dessinées, livres d’art, portraits, dessins, photographies, romans classiques, pornographiques ou policiers, films de fiction, documentaires, séries télévisée

Freud a passé sa vie à écrire, et même si un jour il détruisit des documents de travail et des lettres afin de compliquer la tâche de ses futurs biographes, il voua une telle passion à la trace, à l’archéologie et à la mémoire que ce qui fut perdu n’est rien en regard de ce qui a été conservé.

« Le secret d’un homme, ce n’est pas son complexe d’Œdipe, c’est la limite même de sa liberté, c’est son pouvoir de résistance aux supplices et à la mort. »
Jean-Paul SARTRE