DÉFENDRE JACOB Bande Annonce VF (2020) Chris Evans
La taille [de mon fils], sa ressemblance avec moi, la probabilité qu'il allait s'étoffer et me ressembler plus encore, tout cela m'anéantissait. Tout père connaît ce moment déroutant où il voit en son enfant un double bizarre et déformé de lui-même. Comme si, l'espace d'un instant, nos identités se superposaient. On a, face à soi, en chair et en os, l'idée, la conception que l'on se fait soi-même du jeune homme qu'on a été. C'est soi sans être soi, un être familier autant qu'inconnu. C'est soi remis à zéro, rembobiné ; et, en même temps, aussi étranger et impénétrable que le premier venu. (p. 320-321)
Le cerveau de l'ado est le théâtre d'un bras de fer incessant entre bêtise et intelligence.
Cela me faisait bizarre de penser que, dans quelques années, [mon fils] Jake me quitterait. Il partirait faire ses études et mon temps serait révolu, celui où j'étais père au jour le jour, en permanence sur le pont. Je le verrais de moins en moins, puis notre relation se réduirait à de rares visites pendant les vacances et les week-ends d'été. J'avais de la peine à me l'imaginer. Qu'étais-je si je n'étais pas le père de Jacob ? (p. 30)
Les présomptions ne vont jamais toutes dans un seul sens, pas dans une affaire aussi compliquée que celle-là. C'est d'ailleurs le problème. On n'a pas assez d'informations, le dossier est incomplet. Il n'y a pas de schéma clair, de réponse évidente. Alors les inspecteurs font ce que tout le monde fait : ils se fabriquent une histoire dans leur tête, une théorie, et ensuite ils vont consulter le dossier pour trouver des preuves de ce qu'ils avancent. Ils arrêtent d'abord un suspect et ensuite ils cherchent un élément pour l'inculper. Du coup, ils se désintéressent des éléments qui en désignent d'autres. (p. 93)
On réserve aux parents des jeunes accusés un étrange purgatoire lors de ces procès. Nous devions être présents, mais muets. Dans le crime de Jacob, nous étions impliqués à la fois comme victimes et comme auteurs. On nous plaignait, puisque nous n'avions rien fait de mal. Nous avions simplement joué de malchance, perdu à la loterie des grossesses et hérité d'un enfant perverti. Spermatozoïde + ovule = meurtrier - quelque chose comme ça. On ne pouvait rien y faire. En même temps, on nous méprisait : il fallait bien que quelqu'un réponde de Jacob, or nous l'avions engendré et élevé, et nous avions donc forcément fait quelque chose de mal. Pire, nous avions maintenant le front de soutenir ce meurtrier ; nous cherchions son acquittement, ce qui ne faisait que confirmer notre nature antisociale, notre méchanceté foncière. Le regard du public sur nous était si contradictoire et si chargé d'émotion que nous ne savions comment y répondre, quelle réaction avoir. Les gens penseraient ce qu'ils voudraient, ils nous prêteraient la noirceur ou la souffrance intérieures de leur choix.
Un mariage réussi tisse derrière lui une longue traîne de souvenirs. Un seul mot, un seul geste, une intonation peuvent faire remonter tant de choses du passé.
Je revis Jake bébé, être minuscule et précieux, tout beau, tout blond, avec ses grands yeux. En songeant que cet adolescent, cet homme-enfant, ne faisait qu'un avec ce nouveau-né, j'eus l'impression de faire une découverte, de ne l'avoir jamais su. Le bébé ne s'était pas transformé en adolescent ; il ETAIT déjà l'adolescent, la même créature, identique à ce qu'il serait. C'était ce bébé-là que j'avais tenu dans mes bras. (p. 211)
Quand on est parent, on s'exprime souvent avec une crânerie ridicule lorsqu'il s'agit de ses enfants. On jure pouvoir encaisser toutes les injustices, relever tous les défis. Aucune barre n'est trop haute. On ferait tout pour nos petits. Mais personne n'est blindé, les parents moins que les autres. Nos enfants nous rendent vulnérables. (p. 309)
A un moment donné de notre vie adulte, nous cessons d'être les enfants de nos parents pour devenir les parents de nos enfants.
Au zoo, le léopard longe son enclos et te contemple au travers de barreaux ou derrière un fossé infranchissable en méprisant ton infériorité, ton besoin d'installer entre lui et toi une barrière. En cet instant, chacun sait de quoi il retourne car, pour être non verbal, le message n'en est pas moins clair: le léopard est le prédateur et tu es la proie, et ton sentiment de supériorité et de sécurité, tu ne le dois, humain que tu es, qu'à cette barrière. Face à la cage du léopard, ce sentiment se teinte de honte, devant la puissance hautaine de l'animal, sa morgue, sa piètre estime de ta personne.
[p291-292]