The Age of Light by Whitney Scharer
"Il y a matière a photos partout à se pose le regard, des compositions d'horreur. Lee mitraille, et avale la bile qui lui monte dans la gorge, qui aussi a le goût du métal. Elle a pour mission de photographier le travail des infirmières américaines après le débarquement, et Lee prend les poches de plasma, la pénicelline, les interventions chirurgicales. Elle prend des photos des Américaines qui travaillent côte à côte avec les infirmières allemandes, tente de refréner son dégout des boches, de plus en plus fort qui la mine vers l'intérieur."
Dachau
30 avril 1945
L'un après l'autre, les correspondants de presse s'en vont. Lee reste. Elle doit porter témoignage. Elle a les poches remplies de boîtes de pellicule, des grenades à envoyer pour publication. (p. 290)
Lee n'a jamais accordé beaucoup d'importance à l'endroit où elle vit, mais l'appartement devient pour elle comme une extension de ce qu'elle ressent pour Man. (p. 149)
Lee se demande si c'est là ce que veut Man veut dire par engagement. Si ce qu'il veut est une capitulation totale de sa part. (p. 287)
Lee se meut avec aisance dans la chambre noire, désormais. c'est presque sa deuxième maison. (p. 200)
« Son Rollei l’accompagne partout où elle va ; c’est son ami, une paire d’yeux qu’elle porte autour du cou, plus performants que les siens. » (p. 95)
Lee a sans arrêt envie de porter son appareil à son visage et de prendre une photo, mais elle ne le fait pas. Elle laisse la vie s'écouler sans intervenir, sans l'interrompre, sans la saisir. Qui est-elle pour vouloir y jouer un rôle ? (p364)
Solarisation. C’est le nom qu’ils lui donnent. Ça dit bien ce qu’elle éprouve, une sensation d’éblouissement, comme si, ayant libéré son corps de ses entraves, tous deux l’avaient rapproché du soleil.
Si Lee utilise un grand-angulaire et prend le paysage, intégrant les pelouses bien tondues du village tout proche dans la photo, elle pourra montrer que les trains passaient bien près des civils, et donc que ceux-ci savaient, qu'ils devaient savoir...
Si elle cadre sa photo par la porte ouverte du train, mettant au premier plan le crâne de l'homme mort, ses pommettes passant presque au travers de ce qui subsiste de sa peau...
Si elle prend une photo d'un des lapins élevés dans le camp, de sa fourrure blanche immaculée, de ses rondeurs dodues d'animal bien nourri. Elevé pour devenir un manchon dans lequel une Frau suralimentée pourra glisser ses poings. Un prisonnier nourrissant le lapin de ses mains souillées de boue...
Si elle photographie quelqu'un d'autre voyant ce qu'elle voit. Des prisonniers, les yeux hagards, affamés, face à ces corps qu'on jette dans une fosse. Un garde SS, la mâchoire brisée, qui regarde le sang gicler du nez écrasé d'un autre garde...
Si elle essaye différents angles, en gros plan. Le bol en fer-blanc vide, le numéro sur l'avant-bras d'un homme, la moitié du pied arraché quand il enlève sa botte...
Les premières notes s'élèvent à peine que la scène est prise d'assaut par les danseurs. Cette fois encore, Lee est transportée. C'est la plus pure expression de l'émotion : des sentiments qui s'incarnent, comme inscrits dans les corps. Ah, ces corps ! Lee adorerait les photographier. Rien que les os, le tissu conjonctif visible sous la peau, comme si elle devait voir de quoi ils sont faits. Lee voudrait les prendre en photo devant les décors d'Antonio, les muscles apparaissant en relief sur les panneaux de soie. La fermeté de leurs corps la fascine et, quand ils se meuvent, Lee pense aux douleurs causées par la danse, aux pieds des ballerines, écrasés dans leurs chaussons et qui leur font si mal quand elles sont sur les pointes, aux mollets puissants des hommes entourés de bandages. Et à son propre corps, mou, en comparaison. A l'exception de ses mains, à la peau sèche, desquamée, qui se sont durcies dans la chambre noire. Elle souhaiterait épaissir, voir son corps devenir un cal à force de travailler. Lee voudrait être quelqu'un qui se dépense, qui essaie des choses. Elle ne veut pas être molle.