Tu n’as pas oublié. Tu aimerais oublier, mais tout
est gravé à l’encre indélébile, tu n’oublieras jamais. Un
jour d’hiver, des hommes en uniforme t’ont emportée
avec les tiens. Six heures du matin, des coups pleuvent
sur les portes des roulottes, des voix qui crient : Ouvrez,
Ouvrez !! Entrebâillement de portes, chacun se voit
happer par des bras inconnus en uniforme. Des corps
résistent, ils sont traînés. Des voix criardes répètent :
Sortez, gardez votre calme. Si vous gardez votre calme, il
ne vous sera fait aucun mal. Les mères hurlent à leurs
enfants de se sauver : Fuyez, fuyez. Courez… Courez… !
La colère prend le pas sur la peur. Les hommes du camp
s’avancent à grandes enjambées. Les cris redoublent. Les
hommes en uniforme avancent en mur, telle une haie
infranchissable, menaçante, acculant les gitans à reculer et
à les suivre sous la pression de leurs armes. ...
Le peuple des marcheurs, ils marchent devant moi, ces divins frères, qui sont mes frères. Ils fuient sans repos ni trêves, vers le paradis de leurs rêves berçant leur infini sur le fini des mers.