p. 296/297 : « En 1417, sur une étagère poussiéreuse perdu dans les entrailles de la bibliothèque d’un monastère, le Pogge (Poggio Bracciolini) mit la main sur une copie du De rerum natura, un ouvrage du philosophe romain Lucrèce (…) qu’on ne connaissait que par ouï-dire. Condamné et censuré par l’Eglise pendant plus d’un millénaire, ce poème épique lyrique et complexe contenait des idées iconoclastes et si menaçantes pour l’ordre établi que sa survie même tenait du miracle.
Lucrèce (99-55 av. J.C.) était un épicurien, adepte d’une école de philosophie fondée en Grèce au IIIè siècle av. J.C. et qui reposait sur la conviction (visionnaire, comme l’avenir allait le prouver) que tout dans l’existence est composé de minuscules blocs de construction. Les épicuriens baptisèrent ces blocs « atomes », une entité si petite qu’il est impossible de la diviser davantage, et qui ne saurait être ni créée, ni détruite. Dans le De rerum natura, Lucrèce épouse avec ferveur cette thèse ainsi que la multitude d’idées qui en découlent : il n’existe ni créateur ni dessein divin tout dans la création a évolué et continue à évoluer, à s’adapter et à se reproduire ; les êtres humains ne constituent que l’un des millions d’organismes de la planète et ne jouent aucun rôle central ou unique dans l’univers ; il est vain de redouter la mort, car l’âme meurt et l’au-delà n’existe pas. (…) S’agissant de religion, la condamnation du De rerum natura était implacable : « Toutes les religions organisées sont des illusions plus ou moins superstitieuses … [et] sont toujours cruelles. » Pour les épicuriens, « le principal objectif de la vie humaine est l’augmentation du plaisir et la réduction de la douleur », une idée qui s’oppose directement au message chrétien voulant que les souffrances ici-bas soient rachetées par les joies de l’au-delà. Les auteurs chrétiens déformèrent cette philosophie pour donner des épicuriens l’image d’êtres dissolus et immoraux (…). A maints égards, ce poème se lit comme un manifeste en faveur de la science moderne … »
Il est frappant de voir qu’à ce moment-là, un siècle avant l’avènement de l’islam, les chrétiens étaient beaucoup plus nombreux en Orient qu’en Occident et qu’il existait des monastères et des églises à travers toute la Syrie, la Perse et l’Arménie