Citations de Victoire de Changy (75)
D'avoir vu le pire l'avait immunisée.
...
Je veux apprendre
Et réapprendre
à avoir peur
et à attendre.
...
Elle avait voulu s’inquiéter, à nouveau. S’inquiéter, lui semblait-il, c'était comme dire : c'était respirer. Etre vraiment vivante, c'est à dire : revenir à cet état où l'on ne sait pas tout.
Je me sais plutôt douée pour les gorges, je sais que je possède une écoute format réceptacle dans lequel on aime se délester des choses.
Il s'est passé deux heures, nous ne nous sommes rien dit ou presque et pourtant nous savons tout, ou presque.
Je voudrais moi aussi être garante d'un élément. Qu'il me soit confié. Que le vent m'escorte. Ou que le feu me sorte en larges volutes de la bouche ou rende chacun de mes geste chauds. OU que, portée à mes mains, la terre soit faite soie soudain. Et alors garder toujours de la soie dessous mes ongles trop courts, en provision. En répandre à l'envi.
Le jour du départ, Tala me dit cette phrase apprise dans ma langue et dans mon dos. Elle dit je tiens à toi. Je pense: tenir à moi, c'est me tenir déjà.
Il me semble que je connais Tala depuis la souche. Dès l'origine, sans qu'elle ait le besoin de me la raconter.
Nous avons nos mains. Heureusement nous avons nos mains. Heureusement nous les aurons nos mains, il nous restera toujours les mains et j'apprendrai, comme Tala déjà sait déjà le faire, à, outre faire, dire avec elles.
Où suis-je pour eux quand je ne suis pas là. Où me rangent-ils, où me donnent-ils rendez-vous? Je veux dire dans quelle région consciente, sous quelle eau? Peut-être nulle part, peut-être là. Peut-être ne suis-je tout simplement pas. Je ne me suis, à vrai dire, posé cette question qu'une seule fois. Tout de suite j'ai pensé: en tout cas, là où je suis, ils sont aussi. A une heure et demi en décalage des autres mais les autres quand même avec moi.
Je me renseigne vaguement sur la saison qu'il fait en ce moment en Iran, à ceci on me répond: toutes. Il fait toutes les saisons en même temps en Iran.
Tala a vingt ans, mais Tala en a cent. Elle les a toujours eus.
Au début, Lucien était tellement content de sa trouvaille qu'il voulait rapporter à la maison tous les galets qu'il croisait.
Il pliait le bas de son T-shirt pour en faire une sacoche, qui gonflait, et gonflait.
Il remplissait les poches de son pantalon qui débordaient, et débordaient.
Alors Lucien, comme le petit Poucet, semait derrière lui une horde de galets.
Enfin Lucien a remarqué que certains galets étaient plus intéressants : il a commencé à en choisie quelques-uns et à en abandonner d'autres.
A faire ce que l'on appelle une sélection.
C'est à ce moment-là que Lucien a vraiment commencé sa collection.
Pio n'a pas de jardin.
A cinq ans, il eu très envie d'en avoir un.
Ça lui a poussé dans la tête comme de la menthe.
La menthe, quand on la plante, grandit et se multiplie.
C'est exactement pareil avec l'envie.
Si Suzanne aime les pierres, c'est parce qu'on leur prête des pouvoirs magiques.
On dit qu'elles calment la peur du loup, on dit qu'elles soignent un gros rhum, on dit qu'elles empêchent le mal de mer.
Elles s'appellent aigue-marine, quartz rose ou œil-de-tigre.
Si Suzanne aime les pierres, c'est parce qu'elles racontent l'histoire de la Terre.
Parce qu'elles ont toujours été ici, avant les parents, les parents de parents, les parents de leurs parents aussi, et ainsi de suite.
C'est parce qu'elles montent du ventre des volcans ou parce qu'elles tombent des étoiles.
Elles s'appellent pierre de lave, météorite ou galaxite.
Qu'un miracle survienne à travers lui, et qu'il subvienne à nos miracles. Voilà bien ce que l'on attend, ce que j'attends, moi, d'un vêtement.
La trame du texte, celle du tissu ; les mains dans la matière, le travail à l'épingle, au détail infinitésimal. La cohésion fait sens. Quand je pense écriture, pourtant, je pense plutôt sculpture, mais sculpture sur de la terre meuble, pas sur de la pierre : pétrir la phrase, la malaxer, la caresser, l'ébouter au couteau, repasser dessus, encore et encore, jusqu'à en valider la forme obtenue. L'étymologie comme ma perception l'indiquent : écrire m'est une fonction d'artisan, un travail de mes mains, qui les modèle plus qu'il ne les use.
Si je ne peux pas être danseuse, si je ne peux pas être acrobate, j'ai la possibilité de m'habiller en danseuse, en acrobate, et c'est une revanche certaine que je ne formule qu'en vous l'écrivant.
Au petit bison,
la maman bison
a demandé
Voudrais-tu qu'on t'appelle un bisonnet ?
Mais dans ses yeux ronds
la maman du bison a lu
Non, non !
Nour qui pleure et qui rit
de jour comme de nuit
est une sorte d'allégorie vivante
de traité gigotant de ce que sont les choses
de ce qu'elles font
comme elles perdent en importance
voire en existence
Nour annule
toutes les petites fins du monde
j'ai vu que la somme des nuits
avait finement rainuré
les contours de mes yeux
et j'ai pensé que je n'avais plus l'air
de cette éternelle enfant
comme jusqu'il y a peu
j'ai pensé que mon enfant
justement
m'avait
finalement
donné l'âge que j'ai