Une fois Mlle Berthe partie, il sortit de sa poche la tige d’argent et aspira de la poudre merveilleuse de Horst Hoffmann. Une double dose.
Depuis quelques jours, Walter vivait dans l’attente et se délectait de cette angoisse qui le chatouillait douloureusement.
De tous les ornements de la peau d’Ossip, Walter n’en avait vu que très peu : la Vierge byzantine à l’Enfant, la croix singulière, quelques inscriptions en alphabet russe, une date quelconque…
Ah oui, il avait aussi aperçu quelques cicatrices anciennes. Des traces de lame ?
Quelle beauté !
Le dos et la poitrine d’Ossip étaient si larges qu’il y en aurait assez pour plusieurs ouvrages de Dostoïevski, calculait Walter. Mais d’abord, le plus important : Crime et châtiment.
A partir de ce moment-là, Walter fut en proie à une véritable frénésie de collectionneur. Il se mit à énumérer ce qu’il désirait posséder.
Lorsque la domestique se fut retirée, Walter prit un long coupe-papier, introduisit la pointe dans l’enveloppe et, d’un geste d’orfèvre, la fendit. Au même instant, il ressentit une douleur cuisante, comme si la lame venait de lui transpercer la poitrine.
« Mon cœur appartient au Führer », avait écrit Inguès.
Elle avait un cœur de pierre.
Walter admit qu’il s’était trompé au sujet de la poésie de Rilke.
La peau d’Inguès aurait mieux convenu pour couvrir Mein Kampf.
Mais Walter avait-il envie de laisser entrer un tel livre dans sa bibliothèque du beau et du mal ?
Une larme d’horreur cachée dans la beauté oblige les hommes à rester sur leurs gardes. S’il n’y avait pas le moindre danger dans la vie, l’homme serait détruit par l’ennui.
Quelquefois, pour qu’un objet ordinaire devienne une œuvre extraordinaire, unique, nous devons occulter notre sens de la morale, dit Walter.