Stephen McCauley - Retour à la case départ
Il existe une frontière ténue entre le luxe admirable de ne rendre compte de son temps à personne et la solitude de savoir que personne ne se soucie de ce qu'on peut bien en faire. (p.10)
D'un autre côté, si tout le monde s'adonnait librement aux plaisirs de la chair en suivant quelques règles hygiéniques de base, en évitant l'autoflagellation et tout sentiment de culpabilité, la violence au volant serait inconnue et personne n'aurait voté pour George Bush. La vie, d'une manière générale, n'en serait que meilleure.
C'est toujours la même chose quand on présente des amis : comme ils n'ont pas de sujet de discussions communs à part vous, ils s'amusent à échanger des commentaires piquants sur vos défauts et finissent par faire équipe.
Il y avait un lourd contentieux de colère entre ma mère et moi, mais nous réussissions d'habitude à le maintenir sous la surface. Et, de surcroît, je pense qu'elle ne m'a jamais complètement pardonné d'être homosexuel. Elle se sentait personnellement visée, comme si c'était quelque chose que j'avais organisé sciemment pour attirer l'attention sur les défauts de son éducation.
J'avais une vision de la situation, il en avait une autre. L'amour, ça ne marche que lorsque les deux entretiennent la même illusion.
Cinq ans plus tôt, le mari d'Agnès, un individu grotesque nommé Davis, l'avait quittée, proclamant qu'il avait besoin de "se trouver". C'étaient ses propres termes. Comme il me l'avait expliqué, "je suis passé du fils parfait à l'étudiant parfait au mari et père de famille parfait. Maintenant, il faut que je me trouve, que je découvre qui je suis réellement". Je l'avais écouté avec stupeur, partagé entre la colère et la gêne devant cette récupération inversée du jargon M.L.F. de la première heure. Sa tirade puait la psychothérapie à la petite semaine. D'abord, ses prétentions à la perfection étaient parfaitement gratuites. Quant à découvrir qui il était réellement, cela se concrétisa fort rapidement par quelque chose d'aussi profond, en termes de quête du moi, que d'aller s'installer dans un abominable immeuble de studios rattaché à un club de mise en forme, skier tous les week-ends à Montréal et ignorer royalement les charges de sa précédente et parfaite incarnation sur cette terre-sa femme et sa fille, par exemple.
Si Arthur était plutôt fier de son intelligence, il témoignait d'une tolérance étonnante pour la stupidité des autres.
Si l'on élimine toute trace de désir et de passion de l'acte sexuel, cela finit tragiquement par ressembler à une machine à sous: insérez la pièce, abaissez la manette, et espérez, paralysé par l'attente, que vous allez toucher le jackpot.
Et puis, aussi, je semblais congénitalement inapte à me fondre dans n'importe quel groupe : soit j'avais peur d'être rejeté, soit je craignais de me perdre dans leur chaleur étouffante. Les premiers mois que je passai là-bas, c'est des matchs de football que je tirai mon plus grand réconfort. Je me fichais complètement des sports d'équipe mais ça me permettait d'être assis parmi des milliers de supporters vociférants et de me sentir à la fois entouré et profondément solitaire.
Quand elle raccrocha, Amira lui demanda si c’était son joueur de clarinette.
« De saxophone, répliqua Julie. Non, c’était mon ex-mari.
Ça date de quand ?
- On a été mariés il y a presque trente ans. Mais pas longtemps.
- Je suis tellement jalouse de tous tes ex, s’exclama Amira. C’est horriblement gênant d’avoir un mariage qui tient la route, même si je l’ai épousé pour son argent. Tu l’aimes toujours ?
- C’est presque un étranger pour moi maintenant. Il est homo.
- Oh, mais c’est merveilleux. Les homos sont fous de moi. Je ne sais absolument pas pourquoi. J’organiserai une fête en votre honneur. Il pourra t’aider à acheter la maison et à gérer Mandy. Ce sera ton sauveur. »
De manière lugubrement synchrone, les lumières papillotèrent, puis s’allumèrent au moment où Amira prononçait ce dernier mot. Julie avait envie de répliquer qu’elle n’avait pas besoin de sauveur, mais elle savait que c’était faux.