Tiphaine, assise dans un confortable fauteuil en cuir noir, posa son crayon d’un air satisfait, pivota afin de faire dos à son bureau et s’abandonna au spectacle du reflet du soleil qui scintillait sur les vitres du building d’en face. « Bien, il ne me reste plus qu’à attendre »,songea-t-elle. Elle enleva la pince qui maintenait attachés ses longs cheveux acajou, appuya sa tête contre le dossier du fauteuil et profita de la vue du ciel bleu azur et du centre-ville enneigé de Montréal que lui offraient les grandes baies vitrées de son bureau du 22è étage. Machinalement, elle enroulait une mèche de ses cheveux dans son index gauche et oscillait d’avant en arrière grâce aux ressorts cachés de son fauteuil. Il n’y avait pas un nuage pour obscurcir l’horizon.
« Cela me change des Yvelines », pensa-t-elle au souvenir des hivers sombres et pluvieux caractéristiques de cette région française, près de Paris. Ici l’hiver était froid mais au moins il y faisait presque toujours beau. La réflexion du soleil sur l’épaisse couche de neige au sol créait une luminosité incomparable qui avait le don de vous mettre de bonne humeur. Tiphaine se disait que cela réussissait d’ailleurs un peu trop bien aux
nombreuses plantes qui décoraient son bureau car il commençait à ressembler à une forêt vierge. Elle adorait les contempler mais, craignant que cela ne fasse pas très professionnel, s’était promis d’en distribuer quelques unes à ses collègues d’ici la fin de l’année.
Le ronron de leurs conversations la berçait agréablement tandis qu’elle regardait par la fenêtre. Elle ne se lassait pas de la vue du centre-ville, mélange baroque d’ancien et de moderne, où de vieilles églises d’inspirations anglaises côtoyaient d’immenses buildings en verre dans lesquels elles se reflétaient. Tiphaine appréciait toujours autant cette ville qui avait vu naître son mari Gaby et où elle vivait depuis maintenant dix ans, loin de sa famille et de ses amis, demeurés de l’autre côté de l’Atlantique. Montréal. Le nom roulait avec délectation dans sa bouche. Savoureux mélange des cultures française et américaine. Toute en contraste et pleine d’excès, moins trente degrés l’hiver, plus trente l’été. Bien sûr une adaptation de sa part avait été nécessaire, pas tant au climat cependant qu’à la mentalité et au langage. Là encore, curieux amalgame d’anglais et de français. Son anglicisme préféré, « Tomber en amour », reflétait exactement ce qui lui était arrivé lorsqu’elle avait débarqué ici ; elle était tombée en amour tout à la fois avec Gaby et avec cette ville
Âgé de 58 ans, Robert Parent était sujet à l’embonpoint du fait de sa hantise de tout sport quel qu’il soit (sauf peut-être une partie de golf avec ses «chums de gars» de temps en temps mais, là encore, il louait une voiturette afin de s’éviter le plus de marche à pied possible…). Il avait également un goût prononcé pour la bière et la poutine et promenait donc fièrement ce que l’on pourrait qualifier de bedaine proéminente.