- Vous dites que le transhumanisme est l'avenir de l'Homme ! D'après ce que j'ai compris de votre excellente explication, je pense que c'est l'avenir de la machine dont il s'agit, parce qu'avec une telle doctrine, ce n'est pas la machine qui, petit à petit, deviendra homme, mais c'est l'homme qui se transformera en machine. Et c'est bien la victoire finale de cette dernière…
Le témoin logeait à moitié aux frais de la princesse dans une tour HLM qui ressemblait, brique pour brique, aux blocs en béton d'Argenteuil, sauf qu'ici, la misère était moins pénible au soleil. Enfin ! semblait-il ! Là aussi - et après dix étages escaladés à la force du fessier, à cause d'un ascenseur en panne - le vigile s'avéra absent. Néanmoins, une voisine de palier, que la détestation vouée à son voisin et la peur des flics avait métamorphosée en pie parlante, expliqua au commissaire que l'homme qu'il recherchait était parti à l'entraînement. Elle en était certaine, elle l'avait aperçu, à travers le judas, sortir avec son sac de sport. Dans la foulée elle balança l'adresse du club. Efficace, la donneuse ! Maugin la remercia puis décampa.
A vrai écrire, Dalil était à l'adolescence de la vieillesse, il entrait dans sa soixante et unième année, mais il en faisait 51, et il s'en foutait éperdument. "Comment peut-on ressembler à un chiffre ?" avait-il l'habitude de répondre à ceux qui le saupoudraient d'un tel compliment. Cette illusion physiologique était principalement due à deux attraits de son physique : sa ligne et ses cheveux. En effet, il était grand, fin, droit et dépourvu de ce bide qui fait rapetisser et pencher en avant beaucoup d'hommes de son âge. Ses cheveux, eux, étaient certes complètement décolorés - et donc gris, - mais ils étaient abondants et ornaient jusqu'à la limite de ses tempes. A l'instar du bon vin, le charme de Dalil se bonifiait avec les années.
Siham avait trente-trois ans, en paraissait quarante et n’en acceptait que vingt-huit. Toutefois, les traits d’une beauté anténuptiale faisaient encore de la résistance sur son visage. Elle était petite et rondelette, mais juste ce qu’il fallait là où il fallait pour dresser la barre du plaisir chez tout Marocain aimant le surplus façonné dans le moule de l’harmonie ! Dans une sorte de continuum du corps, son visage était généreux et ses joues bien en chair. Aussi, le foulard serré qui couvrait toujours ses cheveux en présence du sexe opposé, et qu’elle portait par crainte des on-dit plus que par foi en Dieu, mettait en exergue la géométrie sans angle de sa tête. Par ailleurs, à tête dévêtue, le noir prononcé de ses yeux détonnait fortement avec sa peau laiteuse, ce qui accentuait l’intensité lumineuse de son regard.
Elle était ce qu’elle était, sage-femme aux poches mal cousues, de mère en fille. Toutefois, une génération avait sauté par fatalité, sa mère n’avait pas eu droit à ce triste privilège, cette dernière ayant trouvé la mort à l’âge de quinze ans en accouchant d’elle. La fille d’une sage-femme morte en laissant une vie, les Occidentaux appellent cela : l’ironie du sort, les musulmans : le mektoub1. Cette nuit-là, ce qui était écrit était vêtu d’un simple drap blanc, cassé par la crasse.
Le sexagénaire avait l’anatomie grasse et le visage musclé, de ces pâles figures dont on ne peut imaginer les traits à l’adolescence malgré une concentration maximale. Tel un bonhomme de neige, il avait la tête dégarnie et, manifestement, cela le complexait au point qu’il avait développé une aversion pour le vent. En effet, pour tenter de couvrir sa calvitie, de tous les subterfuges disponibles, il avait choisi de laisser courir une longue mèche ridicule d’un côté à l’autre de son crâne que le vent venait parfois soulever. Quant à sa façade avant, elle était marquée par une moustache bien taillée, tel un fantassin prussien sorti tout droit des archives de la Première Guerre Mondiale. Aussi, sur un nez crochu dont seule sa cadette avait hérité, des verres correcteurs aussi épais que le cul d’un verre de thé faisaient grossir exagérément la petitesse de ses yeux.
À vingt-huit ans passés, elle n’était toujours pas mariée dans un pays et une période où le mariage des adolescentes représentait le quart des noces. Pourtant, sur le plan financier, elle était désirable ! Elle était pharmacienne et possédait une officine dans un quartier populaire en mauvaise santé.
Elle s’approcha du berceau à son tour. Le bébé la toisa et, pour des raisons propres aux anges, il esquissa un sourire qu’on jurait ironique. Lakbira examina le nourrisson brièvement, puis proféra une espèce de ronflement incompréhensible avant d’aller s’enfermer dans sa chambre.
—Avez-vous des rats dans vote tiroir, lieutenant ?
—Heu ! Non, pourquoi ? Répondit Zyad d'un air ressemblant à celui que dessine la surprise sur le visage d'un enfant.
—Alors, pourquoi vous évitez d'écrire dans la marge des feuilles ? C'est du gâchis et pas très écologique. Ces marges ont été crées pour protéger les manuscrits des rats qui en grignotaient les bords dans les bibliothèques, les archives et autres lieu de stockage du savoir et de l'information, expliqua l'inspecteur.
Aucun géomètre n’est capable de dire avec exactitude où commence la capitale économique du pays et où elle se termine. « Casablanca est tellement grande qu’elle cache l’océan », pensa Oumaya. Celle-ci avait beau tourner la tête dans toutes les directions, elle ne l’apercevait pas ; que des bruits et des odeurs, que des trottoirs et des murs longés par des cohortes d’hommes pressés, avançant d’un pas décidé et donnant l’impression de savoir précisément où ils se rendaient.
Tout la prédestinait à accoucher à l’âge de seize ans et trois nuits. Sa terre, sa tribu, sa famille, la sécheresse et la cruauté des gens de la ville l’avaient menée droit à cette basse-cour oubliée par le temps qui court.
Il fut un temps où Oumaya était libre et enfant, miséreuse mais libre, sous un ciel et sur une terre avares, où rien ne poussait hormis quelques figuiers des nsara.