Alors que la Tunisie connaît une grave crise financière, de nombreuses manifestations ont éclaté dans le pays pour contester la dérive autoritaire du chef de l'État et demander des mesures économiques rapides. Comment ce pays, qui a vu naître en 2011 une démocratie inédite dans la région, peut-il aujourd'hui se relever ? Que reste-t-il des espoirs du Printemps arabe ?
Guillaume Erner reçoit :
- Sophie Bessis, historienne, spécialiste de l'Afrique subsaharienne et du Maghreb
- Guy Sitbon, journaliste, écrivain et homme d'affaires, conseiller de la rédaction du magazine Marianne
- Ezzedine Saidane, économiste, expert financier pour DirectWay, ancien vice-président de la Banque internationale arabe de Tunisie (Biat) et ancien directeur général de la filiale de l'Arab Banking Corp
#tunisie #politique #printempsarabe
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Si, à partir du XIIIe siècle, le règne hafside dessine les contours de ce qui serait une proto-Tunisie, le IXe siècle aghlabide a aussi fait de l’Ifriqiya une province différente des autres régions de l’Afrique du Nord. Cette singularité s’origine sans nul doute dans le riche legs de son millénaire et demi d’Antiquité punique et romaine qui lui a laissé en héritage une urbanisation sans équivalent dans le reste du Maghreb, et l’on peut voir dans la permanence de ce trait la racine d’une personnalité particulière. Pourtant, mis à part la période aghlabide, l’historiographie classique a présenté ces quelque cinq siècles comme une sorte de revanche de la berbérité sur les occupations successives qu’a connues le Maghreb. C’est en effet de la Berbérie profonde que sont sorties les dynasties qui l’ont gouverné et qu’ont surgi les mouvements politico-religieux qui l’ont marqué de leur empreinte. Mais cette berbérité a été pourvue de deux faces, et les historiens ont résumé l’histoire de ces siècles à un affrontement entre nomades et sédentaires, les seconds tentant de sauver une civilisation urbaine et une ruralité villageoise – à bien des égards synonymes pour les commentateurs de civilisation tout court – constamment menacées par les premiers.
La fille de Manoubia a passé deux mois en Israel (...). Elle est allée. Elle a vu, écouté, rencontré beaucoup de monde, Arabes et Juifs, il n'y a pas grand-chose d'autre. Ils ne se parlent pas, n'habitent pas les mêmes villes. Ils s'épient. Ils ont peur (...). Ils construisent des murailles et creusent des fossés, des gouffres. Ils ne savent plus sortir de leurs prisons. Ils ont perdu les clefs.
Partout il y a la mer dans ce pays. Il y en a tant d'ailleurs qu'on la vend, avec le sable (...). On leur vend aussi des horreurs, des grands plats avec des dromadaires et des palmiers dessinés.
Dans ce pays, il faut demeurer humble devant l'autorité pour les affaires bénignes, et ne sortir sa colère que pour ce qui importe. Autant se mettre en danger pour ce qui en vaut la peine.
J'étais alors élève dans une école française à Bad Godesberg, en Allemagne, où mon père était ambassadeur de Tunisie à Bonn. Nous jouions dans la cour de récréation. Brusquement, j'entendis un de mes camarades me lancer en criant : "Retourne dans les écoles de ton Bourguiba, on ne sait même pas s'il en a !". Il répétait sans doute, bêtement, sans le comprendre, ce qu'il avait entendu chez ses parents. Je me rappelle cette phrase mot à mot. J'avais neuf ans. Nous étions en 1957. Puis, un attroupement d'élèves se fit autour de moi, et toute la classe s'en prit à moi. Avant même que je ne comprenne ce qui m'arrivait, une des filles, alors ma meilleure amie, me frappa.
Combien de rires, de cris, de courses, de fêtes, y résonnent encore ! Nos parents, croyants ou non, athées ou bigots, superstitieux ou mécréants avaient cru que la force de l'amitié vaincrait tous les préjugés. Dieu nous avait fait le don d'ignorer le sens tragique de la vie. (Hélé Béji)
Été d'enfance... La sieste a l'avantage de ne pas être une maltraitance solitaire. Elle est injuste mais nous faisons front collectivement pour en réduire l'infamie. (Sophie Bessis)
Tout se passe comme si, dans les mémoires collectives et officielles, les entreprises de domination occidentales lavaient l'histoire arabe de ses propres turpitudes, comme si les misères subies permettaient d'occulter les exactions commises. La posture arabe rappelle à cet égard la conviction dominante en Israël selon laquelle l'oppression historique subie par les juifs les immuniserait contre toute possibilité de devenir à leur tour des oppresseurs.
Ne nous y trompons pas, ici coexistent deux mondes. Qu'ils se dénudent l'un et l'autre, ce n'est pas la même humanité qui, se côtoyant, a garde de se mélanger. Les uns, les conquistadors, se voulant d'une essence supérieure, plus raffinée, plus élevée (puisque l'âme, éthérée, plane au-dessus de la chair, brassée dans une pâte plus grossière, corruptible, qui s'abaisse vers la boue et abaisse) et les autres, pétris dans un limon moins pur, mêlé de croyances archaïques (comment peut-on d'un Aïd l'autre faire carnage d'entiers troupeaux de moutons se demandait-on, oublieux, sans doute, des ripailles de Noël et de la Saint-Sylvestre, hécatombes de porcs, de dindes, de poulardes et de chapons). [...] Ainsi deux mondes se regardent-ils sur la place de mon enfance. [...] Une enfance qui, écartelée entre deux mondes, cherche ses mots.
à l'uniformisation du monde répondent, de toutes les façons possibles, des tentatives de créer ou de retrouver du particulier. La mondialisation, porteuse pour les plus fragiles d'insécurité sociale, crée partout de l'affolement identitaire.