I. DANS L'ATELIER
24
Avant de donner
le premier coup de pinceau
je sonde
je cadastre
je nivelle
25
Géométrie anatomie
entomologie botanique
géologie chimie
le peintre
est sur tous les fronts
au point qu'il en oublie
parfois de peindre
p.40-41
II. HORS LES MURS
CHU TA
(1625-1705)
3
Je vois le couteau
qui le couperait en deux
Je vois le jus d'encre
qui en sortirait
Je vois dans le miroir
le sourire effrayant
de toutes mes dents noircies
pour y avoir mordu !
Le Melon noir
p.55
I. DANS L'ATELIER
4
Deux pommes
une pipe
un couteau
… et en route
pour la Grande Aventure de l'Art !
5
J'aiguise la mine
de mon crayon
Le noir profond du graphite
contraste
avec le blanc du papier
Petit à petit
mes sens
s'éveillent
6
Mon œil
va de la pomme
à la feuille
et de la feuille
à la pomme
et ainsi de suite
jusqu'à ce que l'espace soit saturé
de mes allers-retours
p.20-21-22
I. DANS L'ATELIER
3
Trois pommes une pipe
et un couteau
sont posés devant moi
Je déplace l'un
écarte l'autre
Je compose décompose recompose
à m'en donner le tournis
Puis avec le couteau
je coupe la pomme
et la mange
Satisfait
j'allume la pipe
p.19
Avant d'être des mains
mes deux mains
étaient des nageoires
J'étais un cœlacanthe
ou bien l'ancêtre
d'un très vieux hareng
Avant d'être des mains
mes deux mains pagayaient
sur toutes les mers du monde
Trois cents millions d'années ont passé
mes ouïes sont devenues des oreilles
mes écailles sont tombées
Et pourtant pourtant
il m'arrive encore
de me sentir étranger
comme un poisson
avec deux mains et deux pieds
I. DANS L'ATELIER
17
Je cherche le plus petit
dénominateur commun
à ma peinture
Un brin d'encre
en un seul trait
de pinceau
du bas
vers le haut
18
Mon pinceau
trace son sillage
laissant derrière lui
une de ces longues graminées
qu'on aperçoit sur les talus
ou bien au bord des chemins
le long des clôtures
19
Brin d'herbe
après brin d'herbe
je vide ma cupule d'encre
et mon cœur
s'apaise
p.33-34-35
II. HORS LES MURS
CHU TA
(1625-1705)
6
Quand le montagne flottante
passa au-dessus des pins
les villageois levèrent la tête
Puis la brume se dissipa
et avec elle la méprise
Tous reprirent leur travail
Tous
sauf le peintre
qui avait discrètement sauté à bord
de cette drôle de montagne
sans but ni attache
Le mont lointain
p.58
II. HORS LES MURS
LETTRES À VINCENT
2
Et d'où vient cette obsession
à peindre le vent
Car c'est bien lui
n'est-ce pas
le principal sujet
le vent qui tiraille
obsède tourmente
comme une mouche coincée
dans l'oreille du monde
Cyprès avec deux femmes,
Saint-Rémy-de-Provence, juin 1889
p.66
II. HORS LES MURS
JEAN-SIMÉON CHARDIN
2
Un petit pot à tabac blanc
et son pichet assorti
Derrière
une mallette en cuir
au capiton bleu turquoise
Une petite vie exempte d'orgueil
sans esclandre
pacifiée
J'en veux pour preuve
la pipe-calumet encore chaude du peintre
posée sur la table
p.60
I. DANS L'ATELIER
22
Mon pinceau
brise la glace
sur des fjords de papier
Je souffle sur ma main
les voiles se gonflent
aurais-je assez de vivres
pour finir la traversée
23
Je mélange mon encre
avec de l'eau
mon Yin
avec mon Yang
Aujourd'hui
le gris est ma couleur
p.38-39