Sigolène Vinson - Les Jouisseurs
Au fond, c'est bien utile d'avoir un petit vieux qui perd la boule sous la main, on peut prendre la mesure de l'inévitable et verser dans le pessimisme sans aucune obscénité (p. 13).
je sais bien qu'on dit : "malheureux comme les pierres". Mais je mettrais ma main à couper que les cailloux ne sont jamais aussi désespérés qu'ils en ont l'air. Ce sont les hommes qui sont désemparés. (p.79)
Les gens font comme ils peuvent avec la vie.
(...) j'oubliais que mon langage n'avait de sens que pour moi. depuis quelque temps, je vivais recluse, et mon vocabulaire s'était appauvri, ma syntaxe réduite à la plus simple expression, comme si la solitude m'avait rendue aphone. Les sons qui sortaient de ma gorge étaient ceux de l'Homme placé à l'isolement ou alors, ceux d'un enfant sauvage que seule la nécessité, la faim en un mot, pousse à s'exprimer. (p.18)
Je suis à l'orée de disparaître, parce que la vie n'est pas habitable.
- Vous avez vraiment besoin que je sois fou, hein ? Il faut que vous sachiez, la dernière fois, j'ai surpris la concierge en train d'arroser les plantes de la cour alors qu'il pleuvait. Les gens font comme ils peuvent avec la vie. Arroser des plantes sous la pluie ou se balader avec une serpillière dans une serviette en cuir, c'est un moyen de tenir. Parce qu'il faut quand même bien qu'on tente d'aller jusqu'au bout . Vous-même, je suis sûr que vous avez des trucs pour ne pas sombrer. (p.16)
On pouvait être à ce point malheureux ou heureux, qu'on serrait fort les autres, objets de nos passions, jusqu'à ne plus pouvoir s'extirper de la situation.
Le silence n'était pas une fatalité, mais une règle.
En me contentant de petits bruits, j'imagine que la vie passera sans m'apercevoir, qu'elle m'épargnera ce qu'elle n'épargne à personne.
Les Corses, puisqu'ils se donnent la mort, n'ont pas peur des cadavres. Le corps est regardé et embrassé, même félicité et envié. Passer de vie à trépas, c'est l'acte social par excellence. (p.126)