Le rire du geai
Peut-être de la vie est-ce un signe infaillible :
Balançant doucement la tête, autour de moi
Des enfants vont dansant sur le parvis herbeux,
Voix et gestes rythmant leur jeu. Pitié du soir,
Sur le gazon si vert des ombres toutes belles
S’embrasent derechef dans le feu de la lune !
Allons, réveillez-vous, puisque le souvenir
Vous accorde un sommeil qui ne saurait durer.
La première marée, on l’entend dans le puits,
Qui gronde. Voici l’heure : elle n’est plus à moi,
Images du passé, maintenant calcinées.
Et toi, venant du sud, lourd de tes fleurs d’orangers,
Pousse la lune au pays où les enfants dorment
Nus, dompte le poulain dans les prairies mouillées
Que marquent les sabots des cavales, et puis
Creuse la mer, emporte au ciel et loin des arbres
Les nuages, vent du sud. Déjà le héron
Vers les marais s’avance et flaire lentement
La vase qui croupit au milieu des ronciers ;
Oh, le rire du geai, noir sur les orangers !
// Salvatore Quasimodo Italie (1901 – 1968)
/Traduit de l’italien par Sicca Vernier
Au Sommeil
Toi, enfant du Silence et de la Mort,
Père de visions, fictives et charmantes,
C’est sur tes pas sans bruit, Sommeil aimable,
Qu’au Ciel d’Amour souvent montent nos âmes ;
Lorsque chacun, sauf moi, au sein des ombres,
Légères et clairsemées, se repose et dort,
Laisse, je t’en prie, les grottes cimmériennes
Et l’Erèbe, aussi noir que mes pensées,
Et viens consoler mon désir inassouvi
Avec ton oubli, doux et tranquille, et avec
Son beau visage qui me ravit et m’apaise.
Mais, faute de jouir en toi de son image
Dont je suis fort épris, je jouirai du moins
De celle de la Mort, objet de mon désir.
// Giovambattista Marino (1569 - 1625)
/ Traduit de l’italien par Sicca Vernier
La femme angélisée
Ô douce élue, point je ne m’en étonne,
Si vous êtes pour moi la fleur des fleurs
Ou si toute beauté, votre vertu
L’éclipse, tant elle est incomparable.
L’étoile du matin, me semble-t-il,
A votre éclat et plus je vous regarde,
Plus votre amour, noble et toute droiture,
Spontanément atteint la perfection.
Aussi bien, chaque fois que je contemple
Votre visage clair, moi, je suis sûr
Que vous, vous n’êtes pas femme incarnée,
Mais je pense qu’en sa majesté Dieu
A, pour sûr, façonné votre beauté
Pareillement à la beauté d’un ange.
// Chiaro Davanzati (XIIIème siècle)
/ Traduit de l’italien par Sicca Venier
Sarcophage
Où vont-elles les frisottantes jouvencelles,
Sur l’épaule portant leurs amphores remplies ?
Si léger est leur pas quand il s’immobilise ;
Au bout de leur chemin s’ouvre une combe
Dans une vaine attente
Des belles, ombragées par une treille
Aux grappes pendantes qui se balancent.
Sous le soleil qui monte
Les pentes entrevues n’ont aucune couleur.
Suave instant où la nature foudroyée,
Mère et non marâtre,
Fait prendre à ses créatures des poses
Et léviter leurs silhouettes.
Est-ce un monde en sommeil ou glorieux
D’une existence inchangée ? Qui peut le dire ?
Ö toi qui passes, donne-lui
Le surgeon le meilleur de ton jardin
Et après poursuis ton chemin, dans cette combe
Ténèbres et clarté n’ont aucune alternance.
C’est loin d’ici que ton chemin te mène
Point d’asile pour toi qui est trop mort :
Suis les étoiles dans leur révolution.
Et don adieu, frisottantes jouvencelles ;
Sur l’épaule portez vos amphores remplies.
/ Traduit de l’italien par Sicca Venier
// Eugenio Montale (1896 – 1981)
Ciel et mer
Craton, songe à la mer maintenant que son flot
S’assoupit sur la grève et que le vent se tait ;
Vois la nuit dans le ciel déployer son manteau
Noir et bleu, fastueux, éclaboussé de gemmes.
Contemple toute nue et sans la moindre nue
Nager dans l’océan de l’espace étoilé
Et mêler la blancheur splendide de leurs corps
La Lune et tout autour les Nymphes du ciel.
Regarde brasiller sur ces plages distinctes
Et s’abattre, fondant une même splendeur :
Les étoiles-poissons et les poissons-étoiles.
Et la mer à nos yeux jusque dans ses abîmes
S’embrase et brille toute et apparaît si pure
Qu’on s’exclame : « La mer en ciel s’est transmuée »
//Torquato Tasso / Le Tasse (1544 – 1595)
//Traduit de l’italien par Sicca Vernier
Le moineau solitaire
extrait 1
Du haut du vieux beffroi
Tu chantes sans arrêt jusqu’à la mort du jour,
Tourné vers la campagne, ô moineau solitaire ;
Ton chant harmonieux se répand dans la combe.
Le printemps alentour
Resplendit dans le ciel, jubile dans les champs :
Aussi bien s’émeut-il tout cœur qui le contemple.
Bêlement des brebis, mugissement de bœufs !
Les oiseaux à l’envi
Virevoltent ensemble à travers le ciel libre
Et fêtent de leur vie
Le moment le plus beau ;
Tandis que toi, songeur, tu regardes le tout,
A l’écart, sans amis, sans se mêler aux vols ;
Peu t’importe la joie ! Et tu fuis les ébats.
Tu chantes : voilà tout.
Et la fleur de la vie et de l’année ainsi
Sans retour elle passe.
…
// Giacomo Leopardi (1798 – 1837)
/Traduit de l’italien par Sicca Vernier
Et le soir est déjà là
Au cœur même de la terre tout être est seul
Que transperce un rayon de soleil :
Et le soir est déjà là.
//Salvatore Quasimodo (1901 – 1968)
Apaise-toi Ô mer…
Apaise-toi
Ô mer, et vous,
Ô vents, tombez ;
Que nul n’éveille
Vénus la belle
Qui se repose !
Qui que tu sois,
Dors, allons, dors !
Puisque je veux
Qu’un doux oubli
Se coule en toi
Grâce à mes pleurs
Qui pleurent tout bas.
Silence, ô Faunes,
Taisez-vous, Nymphes !
// Giovambattista Marino (1569 - 1625)
/Traduction de l’italien par Sicca Vernier
Vanité
Soudain
Tout haut plane
Au-dessus des décombres
La limpide stupeur
De l’immensité.
Et l’homme
Penché
Sur l’eau
Surprise
Par le soleil
Se découvre
N’être qu’une ombre
Bercée et
Doucement brisée.
//Giuseppe Ungaretti, Nationalité : Italie, Né(e) à : Alexandrie (Egypte) , le 8/02/1888,
Mort(e) à : Milan , le 2/06/1970
Polyphème et Galatée
« Je suis laid, mais qu’importe ! Et même si ma barbe
N’est qu’un roncier piquant qui couvre mon visage,
Si ma poitrine et mon dos sont noirs et toisonnent,
Si mes cheveux ne sont qu’une épaisse broussaille
Ne me méprise point, mon enfant, ma mignonne !
Sous ma laideur se cache un amour si brûlant ;
Car la mer enfouit dans une dure enveloppe
L’inestimable chair de bien des coquillages.
Non, ne te gausse pas de mon immense torse,
Puissant et musculeux ; il sied, ô ma petite,
Que tu sois tout le charme et que je sois la force. »
En proie à la douleur le farouche Cyclope,
Foulant le sable chaud courait éperdument,
Se livrant au pourchas de Galatée en fuite.
//Giovambattista Marino (1569 – 1625)
/ Traduit de l’italien par Sicca Vernier