Chez certains artistes contemporains (...), comme chez les créateurs d'art brut, la création est consubstantielle à leur existence. Ce qui équivaut parfois à toucher le fonds et refaire surface, se disloquer pour mieux se reconstruire.
Qu'ils soient bruts ou savants, certains artistes se perdent dans leurs passions, recréent le monde d'après leurs propres plans.
L'essence de l'art repose sur l'expérience humaine, la réaction au monde, une réponse esthétique au fait d'être humain. Cette expression peut être extrêmement savante et intellectuelle, ou viscérale et urgente. Mais toutes portent l'essence de celui qui les fabrique, l'essence d'un être vivant. [Tom Di Maria, directeur du centre Creative Growth]
Sous l’expression « art brut », lancée en 1945 par Jean Dubuffet pour désigner les œuvres de créateurs préservés de tout conditionnement artistique, autodidactes ou internés d’hôpitaux psychiatriques, s’agrègent des travaux mus par une nécessité intérieure, souvent d’ordre pathologique. L’Establishment de l’art a royalement ignoré ces singuliers. Outre la Collection d’art brut de Lausanne et l’ensemble de l’Aracine donné au LaM à Villeneuve d’Ascq, plusieurs institutions comme la Halle Saint-Pierre à Paris ou la Maison Rouge à Paris mettent ces créateurs de la marge à l’honneur. Une nouvelle génération de commissaires d’exposition comme Massimiliano Gioni ou Ralph Rugoff leur emboîte le pas. Comme si cette création longtemps restée sous le boisseau, était enfin devenue tolérable et tolérée. Pourquoi, oublieux d’un Harald Szeemann qui dès les années 1970 intégra ces artistes dans ses expositions, le milieu de l’art contemporain fait-il soudain son aggiornamento ? Pourquoi le marché connaît-il des frémissements et des records après des années d’atonie ? Comment les collectionneurs redécouvrent-ils, avec du retard, une histoire parallèle ? Basé sur des rencontres avec des défenseurs de longue date de l’art brut, vestales de la pensée de Dubuffet, mais aussi des collectionneurs, artistes contemporains et commissaires d’exposition, ce livre tente de décrypter l’empressement soudain, presque affolé pour la marge et l’influence durable des créateurs bruts sur les plasticiens.
Docteur en histoire (Ecole des hautes études en sciences sociales), Roxana Azimi est journaliste spécialisée en art contemporain. Cofondatrice du Quotidien de l’Art, revue spécialisée sur Internet, elle contribue au Monde et au Nouvel Economiste en France ainsi qu’à la revue Monopol en Allemagne.