Les herseurs - sous la lune
Extrait 4
Doux de lune, vont las les Taureaux pleins de songe,
Un seul, et deux : et, sur l'épaule l'aiguillon,
Très haut l'Homme en avant en la paix grande plonge,
Tandis que leur dos maigre et noir marqué s'allonge
Hors mesure près d'eux, et rampe noir et long...
Haut sur les peupliers, la lune vénérienne
A des spleens graves, et, phosphorique, le noir
A des eaux de miroirs : mais las ! que mésavienne,
Quand à plein Temps le noir prendra l'horreur pour sienne
La pluie, ‒ et, non sous Terre, aux remous sans espoir
De l'eau large qui pisse et s'éverse aux semaines,
Nagera le grain nul : aussi, grands mesureurs
De leurs Terres, avant qu'ait loin, prodigue en peines,
Tout voilé l'ample herse, âpres et longs d'haleines,
Vont-ils sans le désir des lourds sommeils vainqueurs !
Sans paix, allés, venus, doux de rêve lunaire
vont-ils : et, las d'aller, s'enrêve le herseur :
Ayant l'air de songer, en un songe sévère,
Au nu large, tout sexe et vulve, de la Terre,
Qui s'ouvre, génésique, au germe envahisseur !
... Il est un seul navire (et haut
Monte au haut mât d'où l'on voit tôt !)
Il est un seul navire à l'eau
Où mon Amant est matelot...
Des tropiques du temps (et, haut
Monte au haut mât d'où l'on voit tôt !)
Des tropiques tant loin de nous
Que m'apporte mon Ami doux ?
Du soleil de la vie (et, haut
Monte au haut mât d'où l'on voit tôt !)
Du soleil ton Amant t'apporte
A en dorer toute ta porte.
Dans les palmiers d'alors (et, haut
Monte au haut mât d'où l'on voit tôt !)
Dans les palmiers de la grande île
De soleils d'or il en est mille.
Il en est qui sont verts (et, haut
Monte au haut mât d'où l'on voit tôt !)
Rouges et verts et d'autres d'or
Dans la grande île vers Timor !
Il en est plein la tête (et, haut
Monte au haut mât d'où l'on voit tôt !)
Et plein les Yeux de ton Ami
Dont tu plaignis le lointain sort...
Il en est plein ma gorge (aidants
Aidés d'étoiles, nage au port !)
Et plein ma gorge et plein dedans
Mon coeur
De toi qui s'est gémi !...
Mais il ne veut dormir, mon Petit...
Mon petit
Ne veut dormir, et pleure, et tend à la lumière
Qu'il sait trop ! l'implorant geste de son exil
Aux ondes du néant où se désoletil
D'errer... Or, ouvre les rideaux de nuit ! ô mère
De silence, que luise entre les doigts en voeu
De vivre, le soleil vaste ! le premier Dieu...
En m'en venant au tard de nuit
En m'en venant au tard de nuit
se sont éteintes les ételles :
ah ! que les roses ne sont-elles
tard au rosier de mon ennui
et mon Amante, que n'est-elle
morte en m'aimant dans un minuit.
Pour m'entendre pleurer tout haut -
à la plus haute nuit de terre
le rossignol ne veut se taire :
et lui, que n'est-il moi plutôt
et son Amante ne ment-elle
et qu'il en meure dans l'ormeau.
En m'en venant au tard de nuit
se sont éteintes les ételles :
vous lui direz, ma tendre Mère,
que l'oiseau aime à tout printemps ...
Mais vous mettrez le tout en terre
mon seul amour et mes vingt ans...
Vie, et ride des eaux, depuis que hors l'amère
Navrure de ses Yeux son âme ne sourd plus,
De ses Yeux inlassés la Vieille aux os de pierre
Morne et roide regarde : et sa voix de prière
Très aigre, égrène au soir les avés des élus.
Oh pleurez ! longues voix, sourdes voix, voix des larmes !
Voix du monde qui saigne et qu'aux ivresses d'armes
Traverse, pâle et noir, le long peuple en alarmes
Des dièses de l'orgue et des âpres Violons !
Oh pleurez ! longues voix de la lèvre animale :
Rien ne vaut la douleur et le plaisir qui râle ;
Rien ne vaut l'orgue sourd et l'émoi qui s'exhale
Apre et rauque, et damné, des Violons noirs et longs :
Un soir l'Orgue d'église aux spasmes des Violons
Montait loin sa douleur sourde en les râles longs :
Voix de genèse, Amour et Trépas, ô pleurs longs !
Un soir l'Orgue montait dans l'horreur des Violons...
Horreur ! la Terre pleure, et, grande Trisaïeule,
Par la vulve et l'ovaire aux ouvraisons de gueule
Ainsi qu'une en gésine appelle et meugle seule :
Horreur ! la Terre pleure et pousse, en sa Terreur,
Son sein de glaise rouge et l'immense dièse
De la genèse en pleurs qui la saigne et la lèse :
Horreur ! la Mère pleure et du Tout la genèse
Dans le noir a vagi le grand et premier pleur :
Horreur ! la Terre a mis au monde ; et, pris de peur,
Le noir ivre - sonnez ! - ulule à voix mauvaise :
Dans l'Inouï sonnez ! ô vous que rien n'apaise,
Sonnez, horreurs du noir et dièse vainqueur !...
Les herseurs - sous la lune
Extrait 3
Sans paix, allés, venus, doux de rêve lunaire
vont-ils : et, las d'aller, s'enrêve le herseur :
Ayant l'air de songer, en un songe sévère,
Au nu large, tout sexe et vulve, de la Terre,
Qui s'ouvre, génésique, au germe envahisseur !
Ainsi qu'une prière et qu'un ennui, soleilles ‒
Tu, lune pleine ! haut au haut des peupliers !
Tout a l'air d'eaux : et l'Homme inému des merveilles
Mène par la lumière, ayant l'amour des veilles,
Les pas las des Taureaux, Trois et loin réguliers.
Traîneurs doux de l'aiguë et de la large herse,
Homme et Taureaux, la lune, aux pâles prés, les a
Mornes et seuls grandis : et la paix large, à verse
Molle, neige ‒ : et, mouillé de l'impalpée averse,
L'équipage impavide et religieux va.
...
Sans paix, allés, venus, doux de rêve lunaire
vont-ils : et, las d'aller, s'enrêve le herseur :
Ayant l'air de songer, en un songe sévère,
Au nu large, tout sexe et vulve, de la Terre,
Qui s'ouvre, génésique, au germe envahisseur !
Les herseurs - sous la lune
Extrait 2
Haut sur les peupliers, la lune vénérienne
A des spleens graves, et, phosphorique, le noir
A des eaux de miroirs : mais las ! que mésavienne,
Quand à plein Temps le noir prendra l'horreur pour sienne
La pluie, ‒ et, non sous Terre, aux remous sans espoir
De l'eau large qui pisse et s'éverse aux semaines,
Nagera le grain nul : aussi, grands mesureurs
De leurs Terres, avant qu'ait loin, prodigue en peines,
Tout voilé l'ample herse, âpres et longs d'haleines,
Vont-ils sans le désir des lourds sommeils vainqueurs !
…
Sonnet
Ma Triste, les oiseaux de rire
Même l'été ne voient pas
Au Mutisme de morts de glas
Qui vint aux grands rameaux élire
Tragique d'un passé d'empire
Un seul néant dans les amas
Plus ne songeant au vain soulas
Vers qui la ramille soupire.
Sous les hauts dômes végétants
Tous les sanglots sans ors d'étangs
Veillent privés d'orgueils de houle
Tandis que derrière leur soir
Un souvenir de Train qui roule
Au loin propage l'inespoir.