Pontus de TYARD Poète rustique sur une île de la Saône (Chaîne Nationale, 1957)
Lémission « Collège des ondes », par Albert Marie Schmidt, diffusée le 11 juin 1957 sur la Chaîne Nationale.
Quand le désir de ma haute pensée,
Me fait voguer en mer de ta beauté,
Espoir du fruit de ma grand' loyauté,
Tient voile large à mon désir haussée.
Mais cette voile ainsi en l'air dressée,
Pour me conduire au port de privauté,
Trouve en chemin un flot de cruauté,
Duquel elle est rudement repoussée.
Puis de mes yeux la larmoyante pluie,
Et les grands vents de mon soupirant cœur,
Autour de moi émeuvent tel orage
Que si l'ardeur de ton amour n'essuie
Cette abondance, hélas, de triste humeur,
Je suis prochain d'un périlleux naufrage.
Tu ne m’es pas de tes faveurs avare,
(Je t’en rends grâce infiniment, Nature)
Puisque la fièvre en rien n’a fait injure
À la beauté sur toutes beautés rare.
La terre aussi te merciant se pare,
Et se revêt gaiement de verdure,
Comme prenant avec moi nourriture
De ce Soleil, qu’à l’autre je compare.
L’air fait cesser ses hibernales pleurs :
Les arbres verts produisent maintes fleurs,
Ou mille oiseaux émeuvent douces noises.
La Saône enflée au pleuvoir de mes yeux
Par le passé, en cours plus gracieux
Vient arroser nos rives Maconnoises.
ENIGME
SUBTILE suis, et de telle beauté,
Qu’autre beauté ne peut estre conneuë,
Que je n’y soye en une qualité.
En liberté, je veux estre tenuë
Evidemment : car qui me veut contraindre,
Il perd et moy et l’object de sa veuë.
S’il pense encor à ma substance atteindre,
Et me toucher, j’en pren telle vengeance
Que je luy donne assez dequoy se pleindre.
Et l’œil du ciel en vain son influence
Coule çà bas, s’il ne se fait sensible
Des qualitez prinses de mon essence.
Il est à l’homme à grand peine possible
Vivre sans moy : et si le fais dissoudre,
S’il est de moy entierement passible.
Mon corps couvert d’une legere poudre
Ne me sçauroit avec soy arrester :
Car je le fuis plus vite que la foudre.
Qui, tant sois peu, me veut solliciter,
Il me peut voir en colere incroyable
Les plus haut lieux en bas precipiter.
Mobile suis, sans arret, variable,
Sans couleur, forme, ou certaine figure.
Et si suis veuë en ma force admirable.
Je vis de faire à mon contraire injure,
Qui par sa mort m’apporte tel encombre,
Qu’en fin la moy-mesme j’en endure.
Or devinez si je suis corps ou ombre.
Bien que Fortune en haut degré te range
Dessus sa roue, et combien que Nature
Pour t’embellir sur toute créature,
Te fasse luire en cette beauté d’Ange,
Si ne dois-tu dépriser la louange
Que tu reçois de moi, car l’écriture,
Plus que beauté mortelle, beaucoup dure :
L’écrit demeure, et fortune se change.
Crois que vieillesse enfin arrivera,
Laquelle, ou bien la mort, te privera
De ces doux traits dont mon cœur tu allumes,
Mais soient les cœurs amants réduits en cendre,
Si se feront encor par tout entendre
Les beaux écrits des amoureuses plumes.
Je mesurais pas à pas, et la plaine,
Et l’infini de votre cruauté,
Et l’obstiné de ma grand loyauté
Et votre foi fragile et incertaine.
Je mesurais votre douceur hautaine,
Votre angélique et divine beauté,
Et mon désir trop hautement monté,
Et mon ardeur, votre glace et ma peine.
Et cependant que mes affections,
Et la rigueur de vos perfections,
J’allais ainsi tristement mesurant :
Sur moi cent fois tournâtes votre vue,
Sans être en rien piteusement émue
Du mal, qu’ainsi je souffrais en mourant.
Au temps premier, qu'Amour le vint loger
Au lieu plus haut de ma libre pensée,
Je la sentais de deuil tant dispensée,
Qu'il n'avait eu pouvoir de l'outrager.
Mais tout soudain que de son trait léger,
Ce Dieu rendit mon âme au vif blessée
Si rudement, elle fut offensée,
Et mon vouloir commença de changer.
Las, qu'ai-je dit ? Amour ne m'offensa
Quand en mon cœur secrètement passa,
Mais me rendit hautement bien heureux.
Ce que j'étais, quand ma langue discrète,
Savait celer et tenir bien secrète
L'ardeur du feu qui me fait amoureux.