Et maintenant — maintenant qu'il fallait bien admettre qu'il y a des épines aux roses — Gaston dit
« Faut voir ! »
Pour voir, André voit. Le vide, le noir. Un long tunnel avec un éboulement au bout. Il avait vu les trottoirs versaillais et à quel point les offreurs d'appartements étaient rares, inexistants. Il avait vu les mansardes dix fois plus petites que le plus petit salon de Limoges. Il avait vu sa mère, toujours aussi garce, larmoyante et discoureuse, tyrannisant le brave Fétuvent — lui avait entendu dire, ravie, que Préhaut subissait la crise, comme tout le monde, n'embauchait plus. André voit très bien. Le taudis, les punaises, le fond du porte-monnaie... et le monstre chômage, craint plus que Dieu, qui apporte misère et déshonneur.
Ce siècle avait trente et un ans Ce qui ne me vouait pas à l'alexandrin et c'était le printemps. Le jour même. Un gamète de Gabrielle, un gamète d'André... l'œuf que le savant appelle zygote s'appela moi. Au chaud, plus ou moins ballotté, j'atteignis l'été, passai l'automne.
Quatre jours avant l'hiver, sous le regard de Dieu, le rictus de Satan, le sourire de la sage-femme, le plafond de l'hôpital et le signe du Lanceur de flèches, je poussai un premier cri. Vain. Annonciateur de tant d'autres. Les hommes ont les oreilles bouchées. Les hommes... je veux dire, comme le dictionnaire, l'espèce humaine... je veux dire les mâles, les femelles, les copains, les maîtres à penser, les amoureuses, les écouteurs professionnels et les occasionnels, tous les si peu Il faut gueuler très fort pour faire un peu de bruit. Nous en reparlerons. Trois volumes, j'ai le temps !.
Il était né pour la vie qu'il n'a pas eue. Ce n'est pas un cas,
mon héros. Il ne demandait pourtant pas la lune en se mirant dans le Pactole. Il n'était pas exigeant. Un coin de la forêt d'Halatte, son ambition, sans plus.
Y vivre et mourir dans ses parfums, sous ses arbres.
La modestie, quoi. Lutiner quelques filles de Balagny
ou de Brasseuse, en épouser une du Plessis ou d'Aumont... aimer et soigner les chevaux du comte de Montéfresnoy, les préparer aux longues courses des chasses, les consoler des fatigues ou des accrocs des ronces... danser au village, les jours de fête, accompagner les voisins au cimetière, trinquer aux noces, voter pour que le comte fût inexpugnablement maire et député...
Ils n'en étaient pas à leur premier taudis. Les escaliers salpêtrés, les meublés à lit-cage, les pigeonniers vue pas même sur la cour, les espagnolettes inamovibles, les tuiles passoires, les poêles fumigènes, ils connaissaient. Et à se passer d'eau courante, chaises, placards... Houatères à moins de cinquante mètres, douche et chauffage central, ils n'y pensaient même pas, petites choses de la vie point faites pour eux, comme les tapis et les bidets. Ils le savaient, en faisaient leur deuil, mettaient une croix dessus. Venter plus haut que l'anus n'est pas dans les habitudes de la famille. Il y a eu des cas, comme Antoine, des exceptions !
André et Gabrielle n'avaient vraiment ni raisons ni moyens pour élire domicile sur le boulevard du Roi. Leurs lares ne réclamaient pas les pénates fiers et cossus. Mais les bâtisses des avenues royales, où le capitaine d'industrie a remplacé celui des mousquetaires, et l'héritière compassée la courtisane dispendieuse, n'ont pas seulement de vastes salons aux hautes cheminées, de sévères bureaux aux bibliothèques dorées sur tranche, des chambres et des salles à manger datées comme une dynastie, elles ont aussi — esthétisme des façades — des mansardes pour le
rêve des bonniches et, sous l'escalier, des réduits pour la phtisie des bignoles.
Les gentils cons qui décrétaient le Bien et le Mal comprenaient qu'un garnement tirât les cheveux d'une fillette, pas qu'il lui roulât un patin ! Sœur Marie me le fit bien savoir ! Purification de ma bouche vilaine par la cascade d’ave au pied de saint Joseph.
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Aujourd'hui je quitte mon Monde - possessif ridicule, mais on ne passe quatre décennies dans un lieu sans se l'approprier, ne serait qu'en façon de dire - en partant, je met un terme à ma situation de critique que j'ai aimé pour plusieurs raisons. Aussi peu que se fût, elle a plus d'une fois amélioré les fin de mois ; elle m'a permis de rendre heureux des écrivains qui, sans moi n'aurait eu le puéril mais bienfaisant bonheur de voir leur ouvrage et leur nom cités ; elle m'a permis de lire mes semblables en écriture comme je ne l'aurais jamais pu- impossible en effet d'acheter tous les romans que les services de presse m'adressaient, et à ce propos, je me flatte de n'en avoir vendu aucun mais de les avoir soit gardés, soit donnés à des amis ou à des associations ; elle m'a offert, cette fonction, la considération, la sympathie et parfois l'amitié des directrices et directeurs du Monde des livres
- Piatier, Bott, Savigneau, Duoin, Nouchy, Solé...
Vous me voulez à votre stand au prochain salon de Paris, avec, dites-vous, mes quatre derniers bouquins. Je n’ai guère participé à ce genre de foire et plus depuis des années. Je n’ai donc pas l’intention d’être une fois encore l’animal que des badauds dévisagent comme les enfants s’attardent aux zoos devant les singes.
Proposer des nouvelles à un éditeur, c’est offrir à un écologiste végétarien un steak cuit au gaz de schiste.
On n'est pas maître de ses promesses. La vie est plus forte que les désirs.