À l'occasion de la sortie de son nouveau roman le 26 août 2022, l'auteur du Sang des Parangons a répondu à nos questions dans ce nouvel épisode intitulé "J'irai lire chez Pierre Grimbert".
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Ils étaient les champions de l'humanité, choisis pour aller implorer l'aide des dieux. Mais pour sauver le monde de la destruction, ils devaient d'abord en affronter les plus anciens dangers.
Le monde des hommes est en train de s'effondrer. Quelques royaumes ont déjà disparu à jamais, engloutis par le sol qui s'ouvrait sous leurs cités, réduits en cendres par la lave et les flammes qui composent désormais leur seul paysage. Et toutes les prières, tous les sacrifices, semblent incapables d'y remédier. L'humanité assiste, impuissante, à son crépuscule.
Une dernière chose doit cependant être tentée. Une folie, à la hauteur de cette situation désespérée. Chaque nation, chaque territoire a ainsi désigné son champion. Certains sont des sages, des savants, ou des dévots. D'autres sont des mercenaires, des aventuriers, des guerriers ou des chevaliers. Et il se trouve même des rois et des reines
Ensemble, ils vont devoir pénétrer la montagne sacrée, siège du palais souterrain des dieux. Et s'ils parviennent jusqu'aux éternels, malgré les dangers légendaires que renferme cet endroit, ils devront les convaincre de sauver leur monde agonisant. En les suppliant
ou bien en les défiant, si nécessaire.
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Le Sang des Parangons de Pierre Grimbert
Le 26 août en librairie.
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Un de ces jours prochains, il viendrait faire le pied de grue dans le quartier dans l’espoir d’y retrouver la belle. Elles cédaient presque toujours, la deuxième fois. Et il aurait tout son temps pour l’attendre et lui consacrer une journée entière, ainsi que la nuit, s’il parvenait à ses fins.
Le cimetière avait presque le même visage qu'au siècle dernier, sinon le précédent. Les souverains loreliens ne l'avaient conservé, au cours de leurs règnes successifs, que par devoir de mémoire. Le petit nombre de tombes fleuries témoignait de la rare fréquentation du lieu. A cela s'ajoutaient les inévitables rumeurs effrayantes qui courraient sur le site : histoires de morts revenus à la vie, de supplications montant des profondeurs, de promeneurs à jamais perdus dans les allées... Rey avait déjà entendu semblables contes sur tous les cimetières de la ville et n'y croyait pas un seul instant. Cependant, à longer ainsi un mur qui semblait une barrière entre le monde des hommes et celui des défunts, il comprenait comment pouvaient naître de telles légendes. La taille et l'épaisseur de cette enceinte y jouaient pour beaucoup. Plutôt que décourager les amateurs d'escalade, il semblait qu'on eût davantage cherché à empêcher ce qui se trouvait dans le cimetière d'en sortir.
Vérité cachée est mensonge courtois, dit le proverbe.
Mais peut-être imaginez-vous que les mages sont capables de léviter, de traverser les murs, ou de générer des boules de feu ravageant tout sur leur passage ? Si je vous fais la démonstration, vous en serez probablement convaincue ? Pourtant, je vous l’annonce, cela n’est que le résultat de mensonges entretenus pendant des siècles par mes pairs, et leurs pairs avant eux. Chaque nouvelle génération a été préparée à croire en la magie. Mais en réalité, mon art n’est qu’illusion.
C'était la seule règle à laquelle il accordait du sens : celle du "chacun pour soi".
Pourquoi l’humanité devrait-elle absolument triompher dans ce combat ? Êtes-vous si heureux du sort qu’elle vous a réservé ? Et où est-il écrit que notre espèce vaut davantage que toutes les autres ? Parce que nous nous sommes inventé une âme et avons décrété que les autres n’en avaient pas ? Parce que nous avons un pouvoir de destruction qui nous semble supérieur et dont nous abusons sans complexe ?
Par moments, une bourrasque filait à travers le labyrinthe, porteuse de sable piquant et de longs sifflements. Cael frissonnait à chaque fois, tant le bruit lui paraissait lugubre... Impossible d'oublier que la porte de Ji était hantée par Reexyyl, le Léviathan, monstre cité dans les cahiers de Corenn ! Comment ne pas imaginer que cette plainte aigüe montait de la gorge de l'Éternel Gardien ? Même si la créature avait jusqu'ici ignoré les sages et leurs héritiers, rien ne garantissait qu'elle en ferait autant avec cette génération !
Cael les contemplait avec la volonté d'y croire, mais sans y parvenir. Malgré l'estime qu'il avait pour les talents et la bravoure des héritiers, malgré la force que représentait la réunion de toutes leurs générations, il pressentait que la lutte finale serait bien plus difficile que Yan et Léti ne l'envisageaient. Et cela pour une simple chose : il connaissait, lui, l'immensité de la puissance du démon. Pour l'avoir sentie en lui à chacune de ses crises.
- C'est grave, répéta-t-il, regrettant d'attrister ses parents. S'il ne se passe pas quelque chose très vite, je ... J'ai peur de ce qui pourrait arriver. [i]J'ai déjà tué Usul[i], révéla-t-il dans un souffle
Cette fois, il semblèrent prendre les choses au sérieux. Yan, surtout, qui avait rendu visite au dieu des Guoris, et avait été témoin de l'étendue de ses pouvoirs... [i]Ils ne me croyaient pas capable d'ôter la vie à un éternel[/i], comprit l'adolescent. [i]Ils n'imaginaient pas que mon démon puisse posséder une telle force[/i]...
La conversation se serait certainement poursuivie sur ce sujet, si un plainte déchirante n'avait pas soudain résonné sous le ciel du crépuscule. Un cri fait de pure détresse, long à n'en plus finir, et qui montait de la gorge de Nolan.
[i]" Pourquoi [/i]deux cercles[i], me demande-t-on souvent ? Pourquoi les magiciens se sont-ils choisi comme signe de reconnaissance un symbole aussi dénué de sens, sans saveur ni éclat ? Pourquoi ne pas avoir choisi un dragon d'or, une étoile, un joyau, attestant davantage de leur puissance ?
Même le roi de Creste, que l'on considère à raison comme l'homme le plus sage de nos contrées, me posa un jour cette question. Il n'avait pas achevé de la formuler qu'un groupe de courtisans curieux s'assembla autour de ma personne, dans l'attente d'une démonstration brillante ou du spectacle de mon embarras. Je ne devais pas leur donner ce plaisir...
- Sire, demandais-je, voudriez-vous me dessiner un cercle ?
Après avoir fait mander le nécessaire, le monarque s'exécuta en traçant une forme imparfaitement arrondie que chacun, pourtant s'évertua à complimenter. Je sollicitai le même service auprès de tous les membres de l'assistance et, une fois satisfait, tendis de nouveau la plume au roi.
- Maintenant, sire, donnez-vous la peine de dessiner de nouveaux cercles, un pour chacun de ceux que nous avons déjà.
Le monarque posa diligemment la pointe sur la feuille mais, après quelques instants, la retira sans avoir rien tracé. Il avait compris.
- Comment pourrait-il vous satisfaire ? intervint un des courtisans, soucieux d'excuser son roi. Il existe une infinité de façons de dessiner ces nouveaux cercles, par rapport aux premiers. Comment pourrait-il savoir ce que vous désirez au juste ?
- C'est tout à fait cela, répondis-je sur le ton de la victoire. Deux simples cercles, et une [/i]infinité[i] de possibilités. C'est l'essence même des runes... et le meilleur symbole qui puisse être pour les magiciens. "[/i]
[i]Introduction au [/i]Traité de philologie runique[i], vers 2860[/i]
On ne leur permettait qu'une seule chose: se préparer au don ultime pour lequel on les avait emmenées. À savoir, devenir la prochaine incarnation de la déesse. Car Celle-qui-Juge avait beau être éternelle, il lui fallait malgré tout des enveloppes charnelles pour se matérialiser. Voici ce à quoi nous étions destinées. Grandir dans la souffrances des apprentissages et des privations, pour avoir un jour le prétendu privilège d'offrir son corps à l'âme du monstre. Et ne plus être, alors, qu'une petite voix implorante et étouffée par l'esprit du démon.