Philippe Sers. Beau et beauté au Moyen-Age.
Poème de W. Kandinsky
Toi, écume sauvage.
Toi, escargot qui ne vaut rien, toi, qui ne m'aimes pas
Silence vide des pas de soldats qui n'en finissent pas, que je ne peux pas
entendre ici.
Vous, quatre fenêtres carrées avec au milieu une croix.
Vous, fenêtres de la salle vide, du mur blanc contre lequel personne ne s'est
appuyé. Vous, fenêtres qui racontent en soupirant imperceptiblement.
Vous paraissez froides à mon égard: vous n'êtes pas construites pour moi.
Toi, colle véritable.
Toi, hirondelle qui pense et qui pense, toi qui ne m'aimes pas.
Silence absorbé par des roues qui roulent, qui chassent et créent
des silhouettes.
Vous, milliers de pierres qui n'ont pas été placées et enfoncées pour moi
à coup de marteau. Vous empêchez mes pieds de bouger. Vous êtes petites,
dures et grises. Qui vous a donné le pouvoir de me montrer l'or étincelant?
Toi, l'or qui parle. Tu m'attends. Tu me témoignes de la chaleur :
tu es créé pour moi.
Toi, colle de l'âme.
C'est la fin de l'esthétique non par indifférence à la valeur, mais par valeur d'indifférence esthétique : nous sommes donc bien dans une dynamique de dépassement du goût, un passage de l'esthétique à l'éthique, la marche vers l'ethos, qui est la préoccupation prioritaire de Marcel, le jeune homme triste dans un train. p. 88
(au sujet de la "Mariée mise à nu par ses célibataires, même"
L'homme n'est qu'un existant parmi les autres ; et pourtant il est différent, car il a un rôle à jouer, celui d'ordonner les choses. " Ordonner " ne veut pas dire conquérir le monde ou s'y opposer, mais simplement donner sens aux choses et essayer de canaliser l'énergie qui circule entre le ciel et la terre, entre le yin et le yang. C'est ce qu'a fait Shen Peng, ce calligraphe chinois qui, en visite en France, a regardé la tour Eiffel et y a lu le caractère de l'être humain en majuscule. Pour les Chinois, la France est le pays des Droits de l'homme ; dire que " l'être humain y est écrit en majuscule " est donc une marque de respect et de reconnaissance envers la France. On ne lit les choses que dans leur contexte. Une autre personne pourrait très bien voir dans la tour Eiffel un caractère différent, ou un autre symbole. En fonction du contexte, on donne à lire pour donner sens à ce qui se passe aujourd'hui, en ce lieu. Ainsi, cette lecture ne donne pas accès à une vérité universelle, puisque aussi bien elle peut être comprise autrement par quelqu'un d'autre, à un moment différent.
Contrairement à ce que dit Breton, il ne s'agit pas pour Marcel de nommer les choses "art", mais de dénier aux mots leur prétention à remplacer l'expérience. Derrière les louanges qui lui sont décernées de nos jours, la démonstration de Duchamp est en réalité anéantie et transformée en une série d'affirmations contraires à sa pensée, mais que l'on place abusivement sous son autorité. p.92
Le rapport entre l'artiste et le monde, selon les Chinois, est d'abord un rapport d'analogie. En premier lieu, ce monde n'est ni stable ni fixe, mais en perpétuelle mutation : il est constitué de deux entités à la fois opposées et complémentaires qui ne peuvent pas se concevoir l'une sans l'autre ; elles ne sont pas complémentaires mais plutôt inter-reliées, intrinsèquement liées l'une à l'autre ; l'une contient toujours virtuellement une part de l'autre. C'est le yin et le yang : le yin correspond au côté non éclairé de la montagne, alors que le yang est le côté exposé à la lumière. Par la suite, le yin désigne tout ce qui concerne la féminité, la souplesse, l'eau, ce qui est sombre, etc. ; le yang incarne la masculinité, la dureté, le soleil, la lumière, etc. Tous les phénomènes de l'univers, les " existants ", sont régis par cette interrelation entre yin et yang qui concerne également les êtres humains. Pour les Chinois, un existant est aussi bien une plante, un rocher, un arbre, un nuage, un animal, qu'un être humain, dont l'artiste.