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Citations de Philippe Forest (330)


Je la retrouvais chaque soir. Je ne veux pas prétendre que cela donnait un sens nouveau à ma vie. D'abord, il eût fallu que cela ait un sens. Si cela en avait un, j'ignorais lequel. Et puis, rien n'est jamais aussi simple. On dit : sa vie. Comme si l'on n'en avait qu'une. Alors que plusieurs coexistent qui communiquent à peine les unes avec les autres. De sorte que l'émerveillement soudain d'aimer lorsqu'on l'éprouve dans l'une de ces vies n'enlève rien à l'accablant chagrin que l'on ressent dans une autre. Des centaines d'histoires se déroulent en même temps, elles s'unissent sans rien perdre pourtant de ce qui les rend uniques et singulières, et nul ne saurait décider, parmi la multitude qu'elles forment, laquelle, mieux que toutes les autres, dit vrai. Chacun reste ainsi captif du récit qu'à son insu il écrit et qui contient en lui toutes sortes d'intrigues dont aucune ne vaut davantage qu'une autre.
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En supposant que ce témoignage devienne un livre, je le signerai d'un pseudonyme. Ou bien : s'il accepte, je demanderai à un écrivain de me prêter son nom. Un écrivain un peu en vue, si possible et s'il en reste encore un.
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Je suis là, marchant vers la maison qui n'est pas la mienne, sous ce soleil très obscur qui pèse et qui aplatit tout, tournant dans ma tête quelques idées idiotes, me disant que si une chose peut être et n'être pas, si tout ce qui apparaît est voué à disparaître, il n'y a pas de raison que l'inverse ne soit pas vrai aussi bien.

Dans le de la nuit, je cherche un chat.

Qui n'existe pas.

Ou bien : si.
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露の世は
露の世ながら
さりながら
Monde de rosée
Monde éphémere comme rosée
Et pourtant, et pourtant...
小林一茶
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Que la détresse dont l’enfant mourant offre le spectacle nous renvoie à l’archaïque déréliction d’être né, déréliction dont chaque individu conserve en lui le souvenir traumatique et qu’il lui a fallu surmonter pour grandir mais dont il sait bien à quel point elle a laissé en lui une plaie fragile que tout chagrin ne demande qu’à faire de nouveau s’ouvrir, cela est tout à fait pensable.
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Dès octobre 1944 se constituèrent les premières unités suicides de l’aviation japonaise, les kamikases, baptisés d’après le nom donné au « vent divin » qui, en 1274, anéantit la flotte mongole sur le point d’envahir le Japon, des commandos composés de tout jeunes pilotes, le plus souvent des étudiants, hâtivement formés, n’ayant pas eu besoin d’en passer par le long training imposé par l’Army Air Force puisque leur seule consigne consiste à abattre leur appareil des Mitsubischi Zero, sur la première cible venue, selon une stratégie assez efficace puisqu’elle envoya par le fond des dizaines de navires américains. Des jeunes gens de son âge, dont tous n’étaient pas des fous ou des fanatiques mais qui se trouvaient parfois obligés à ce geste dont ils percevaient bien, sans doute, le caractère inhumain et pathétique.
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Ironiquement, d’ailleurs, aux yeux des autres, je passais pour quelqu’un d’assez occupé. Il suffit souvent de peu pour produire une telle illusion. Et rien n’est plus facile que de se tenir ensuite caché à l’abri de celle-ci, dissimulant derrière une affectation d’agenda très chargé le fait qu’en fait on ne fait rien. Ce qui, inexplicablement, constitue d’ailleurs aussi une activité à temps plein.
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Les histoires sont plus vieilles que les hommes qui les vivent, plus vieilles que ceux qui les racontent. Elles les précèdent. Elles les attendent. Elles leur survivent. Une fois qu'ils ont disparu, elle continuent sans eux. Jusqu'à ce que d'autres s'en viennent, qui prennent leur relève et qui, à leur tour, remplissent les rôles que les premiers avaient d'abord crus à eux.
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Vous pouvez me retirer ma gloire et ma puissance, dit la voix, mais non mes chagrins dont je resterai toujours le roi.
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La longue année où mourut notre fille fut la plus belle de ma vie. Il n'y en aura jamais de semblable. Quoi que réserve l'avenir, nous ne serons plus ensemble tous les trois. Et même l'angoissante routine des traitements, la terreur répétée des examens, nous ne la connaîtrons plus. Cette douceur dans l'horreur nous sera ôtée. Nous n'avions de cesse de fuir l'Institut mais nous ne pourrons plus passer devant ses grilles sans éprouver le désir violent de presser le pas, de courir jusqu'au dernier étage, d'entrer dans la chambre où Pauline, depuis trop longtemps nous attend sans doute. Puis, tout à coup, nous nous arrêterons, nous nous dirons seulement : C'est vrai, sans pouvoir le croire et nous tournerons lentement au coin de la rue.
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On dit du temps qu’il est un fleuve et que l’on ne s’y baigne jamais deux fois dans le même lit. Mais la vérité est plus vertigineuse. Car ce fleuve est depuis toujours sorti du cours où il coule. Se répandant dans toutes les directions à la fois et entraînant avec lui quiconque s’abandonne à son mouvement. La ligne qu’il est censé suivre, d’hier vers demain, ne constitue qu’une simplification à laquelle s’en remet l’esprit de chacun : la réduction à une seule de ses dimensions d’un espace qui en possède plusieurs sans que quiconque, d’ailleurs, puisse dire exactement combien.
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Je crois très sincèrement que chacun est le romancier de sa vie, qu'il donne la forme d'un rêve ou d'un récit. Moi aussi, comme tout le monde, j'ai fait un roman de ma vie et j'ai voulu que ce roman dise l'inexpiable crime de la mort d'un enfant. Mais, le livre refermé, je me trouvais tout aussi démuni qu'avant. Sauvé ? Certainement non. Gueri ? Meme pas. Vivant ? Tout juste.

La mort est la réalité. Il n'y a sans doute pas de sens à vouloir la refuser. Le discours de la religion, de l'idéologie, de la science, la vieille et immémoriale sagesse, le bons sens enfi nous ordonnent de l'accepter et de nous résoudre enfin à l'ineductable.
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« Quand ma fille est morte, j’ai eu le sentiment stupide d’être soudainement devenu invulnérable »
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Accablé comme on finit toujours par l’être devant l’immense ratage forcé d’avoir vécu.
Sauf que l’existence est plutôt pas mal faite et que l’on termine en général à peu près satisfait de son sort, quel que soit celui-ci, faute d’avoir pu réaliser ses désirs, se résolvant lentement à ne plus rien désirer d’autre que la pauvre petite part de réalité qui vous a été attribuée et qui vous reste au bout du compte. Ayant, sans en avoir clairement conscience, adapté ses espérances aux exigences de son existence, les ayant petit à petit réduites pour qu’elles prennent à peu près la forme minuscule de ce que le hasard vous a mis entre les mains. La « peau de chagrin » dont parle le vieux roman se rétractant jusqu’à disparaître enfin dans le rien. Mais selon une morale plus amère : puisque ce n’est pas en accomplissant son désir mais en renonçant à celui-ci que sa vie se rétrécit ainsi. Et plutôt que de devoir affronter une pareille révélation, celle sur laquelle se termine un vieux film mélancolique, citant à sa dernière image quelques vers violents comme le glas qui sonne : « Car la vie est un bien perdu / Quand on n’a pas vécu / Comme on l’aurait voulu », se disant, comme tout le monde en vient à penser pour ne pas désavouer celui que l’on a été, que, si c’était à recommencer, on reprendrait exactement le même chemin car on n’en aurait pas voulu, on n’en voudrait pas d’autres.
Vraiment ?
p.247
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Il y a bien des raisons de mourir. Sans doute y en a-t-il autant de vivre. C'est pourquoi les unes et les autres se tiennent plus ou moins en équilibre: on ne vit pas, on ne meurt pas, on se laisse vivre et puis on se laisse mourir. Moi, les quelques fois où j'avais pensé me tuer, je sais ce qui m'avait conservé vivant, le motif vraiment dérisoire au regard de tout le reste et qui pourtant avait fait que j'étais toujours là: la curiosité, le désir très stupide de savoir ce qui allait suivre, l'avidité de connaître ce que serait le lendemain vide qui m'attendait.
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On perd ce qu’on aime. Et comme une fois ne suffit pas, il faut, tout au long de sa vie, le perdre encore et encore. Puisque la répétition est la seule pédagogie qui vaille. Faisant de l’existence comme une longue et terrible propédeutique au néant.
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Qu'il arrivât ou qu'il revînt, que cela fût sous la forme d'un chat ou sous celle de ce que j'avais appelé un anti-chat, il fallait bien que Sirius - ou quel que soit le nom qu'on lui donnât - ait été doté de la faculté de traverser le mur, établissant un lien entre les deux univers dont je parle et dont rien ne me permettait encore de déterminer la nature.
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Je cultive mon jardin, cela signifie : je regarde passer le temps. Le temps pur. Délivré du souci du passé et du soin de l'avenir. A peine le présent. La sensation sans cesse répétée de l'instant. Avec au sein de chaque seconde qui s'écoule assez de matière pour donner tout un monde qui ne manque de rien.

Cela fait un spectacle suffisant. De quoi remplir tout le temps d'une vie. Oubliant tout le reste.

Une vie de chat à faire la sieste au soleil, à errer pour des riens dans la nuit, à scruter le vide.

Sans penser à quoi que ce soit.
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Chacun s’invente la religion qui lui paraît juste et digne. Je ne suis pas assez naïf pour ne pas réaliser que j’ai moi aussi ma religion. La conviction que je me suis faite que la mort est un scandale radical, dépourvu de sens, insusceptible d’être racheté dans l’économie d’une quelconque rédemption, constitue l’article unique d’un « credo » dans lequel j’ai investi toute ma foi et auquel je suis plus dogmatiquement attaché que le plus fanatique des fidèles ne l’est à son propre catéchisme. Devant la mort, il n’y a que des croyances.
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Eprouvant alors le sentiment que plusieurs siècles ont passé d’un coup en l’espace d’un seul battement de ses paupières, mesurant dès son retour l’ampleur du changement qu’ont opéré le passage du temps et la révolution des jours, frappé par cette évidence en un instant, n’ayant pas assisté comme les autres au processus continu par lequel quotidiennement les apparences se modifient, imperceptiblement, de telle sorte que leurs transformations restent invisibles à ceux qui les observent, toute image nouvelle se substituant aussitôt à la précédente et l’effaçant à mesure qu’elle s’imprime sur la rétine.
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