La Compagnie de la baie d'Hudson est probablement, après le Vatican l'institution la plus abondamment documentée du monde. Lorsque les documents de la C.B.H. aujourd'hui logés dans les Archives provinciales du Manitoba, durent être évalués à des fins d'assurances avant d'être transféré de Londres à Winnipeg en 1974, on découvrit qu'ils pesaient soixante-huit tonnes, sans compter les vieux mousquets, sextants et autres impedimenta qui accrurent le poids des objets à transporter.
Quand le roi George VI et la reine Elizabeth vinrent au Canada en 1939, il créa en leur honneur le prestigieux whisky Crown Royal, ayant, pour ce faire, mélangé personnellement six cents échantillons avant de se déclarer satisfait. L'une des raisons qui le poussa à acheter la distillerie Chiva, d'Aberbeen, fut le fait que les anciens propriétaires possédaient une épicerie où tout était vendu au prix fort et qui, a titre de Fournissseur de Sa Majesté le Roi, approvisionnait la famille royale quand elle s'éjournait en Écosse.
Car les contrebandiers ne devaient pas seulement franchir le blocus des garde-côtes américains; le danger venait tout autant des bandes d'"écumeurs", comme on les surnommait, qui sévissaient au large de la côte, depuis le détroit de Block Island, à la hauteur du Rhode island, la pointe de Montauk et le bec de Sandy jusqu'au cap May, au sud d'Atlantic City. Armés de mitrailleuses Thompson, ils n'hésitaient pas à abattre tout équipage qui refusait de leur abandonner sa cargaison de gnôle.
Mis à part le fait qu'ils sont probablement les plus riches et, sans doute, plus secrets, les Bronfman sont devenus les Rothschild du Nouveau Monde. Mais, contrairement à cette famille de banquiers européens qui a concentré toute sa fortune dans les métaux, la dynastie des Bronfman détient une position prépondérante dans le commerce de ces deux liquides dont s'abreuve le monde moderne: le whisky et le pétrole.
On aurait presque pu croire, parfois, que des représentants du Congrès américain et des gouvernements canadiens, fédéral et provinciaux, s'étaient secrètement réunis à huis-clos dans un seul et unique but: rédiger des lois et règlements qui, en interdisant le commerce des spiritueux, pourraient aider les frères Bronfman à retirer le maximum de profits du trafic clandestin de l'alcool.
Son compagnon entreprit d'escalader le tronc incrusté de lichen et redescendit en tenant à la main une poêle à frire de cuivre terni par les intempéries dont le manche vert-de-grisé portait encore les inscriptions H.B.C. Après avoir dîné, les deux hommes s'installèrent confortablement près du feu, tournant et retournant l'étrange objet dans leurs mains.
Ils furent les gardiens de la plus vaste étendue de rouge pâle que l'on distinguait sur la carte de Mercator, régnant sur un nouveau demi-continent, construisant leurs forts miniatures et séduisant les jouvencelles indiennes qu'ils surnommaient plaisamment leurs "petites femmes brunes".
Le réseau de postes de traite de la Compagnie se déroulait du rivage immaculé de l'océan Glacial arctique jusqu'au dock moites de San Francisco et, vers l'ouest, jusqu'aux terres embaumées d'Hawaii. Quant à son influence, elle s'étendait bien au-delà.
Pour aider les avions à se poser, les contrebandiers encerclaient avec leurs autos le champ qui avait été choisi et allumaient leurs phares au moment précis de l'atterrissage; puis ils chargeaient en vitesse et filaient sans plus attendre.
Etre un Bronfman est quelque chose d'assez particulier et ils le savent. incapables de rester en place, ces types chaussés de mocassins Gucci sont constamment en quête d'eux-mêmes. Ce livre se veut une chronique de leur recherche.