Bienvenue dans mon monde - Paul El Kharrat
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Si vous y réfléchissez bien, on met tout le monde dans des cases, et même dans plusieurs cases à la fois. Certaines sont nécessaires - disons qu'elles sont là pour aider -, tandis que d'autres sont là pour stigmatiser. A vrai dire, il faudrait voir si elles ne stigmatisent pas toujours.
Je ne suis pas malade. Non, l'autisme n'est pas une maladie, ni une pathologie. Pourtant, je me surprends à le dire parfois : "Je ne guérirai jamais." Sans doute car je sais que je n'atteindrai jamais la normalité de tout le monde. Si tant est que cela soit souhaitable d'être "normal".
La lecture représente mon refuge. Mon échappatoire. Avec les livres, je me situe dans un monde où il n’y a pas à interagir, pas de politesse, pas de codes à décrypter. Les livres sont un filtre entre le réel et moi, un rempart contre ma solitude, profonde, que rien ne semble pouvoir briser.
Qu'est-ce que c'est, la norme ? Ca n'existe pas. On nous rebat à longueur de temps les oreilles de ce concept aussi vague que totalitaire qui ne veut rien dire à part qu'il représente ce que pense (et la façon dont agit) la majorité des gens sur cette planète - le fameux tout le monde. Soit une manière d'être, de faire, tacitement établie par la société, qui est centrée sur elle-même et se montre aveugle aux potentialités et aux différences de chacun, lesquelles constituent pourtant une richesse inhérente à l'espèce humaine.
Sartre a écrit : « L’enfer, c’est les autres. » En cf qui me concerne : « L'enfer, c’est les autres, et c’est moi. »
Une fille qui passe sa vie le nez sur son écran, sans prêter attention à son entourage, c'est éliminatoire! C'est un psychiatre qu'il lui faut, pas un garçon. Ce ne sont pas les valeurs que je défends, et je me sentirais plus seul encore avec elle.
Participer aux Douze Coups de midi a peu ébranlé ma philosophie du pessimisme. J'étais très sceptique sur le fait de me rendre à la télévision, dans un univers que je trouvais superficiel et individualiste, en contradiction totale avec mon mode de pensée. Pourtant, sans me changer du tout au tout, le jeu m'a aidé à évoluer, à m'ouvrir aux autres, à mieux me considérer, à prendre du plaisir même. Qu'on ne s'y trompe pas, un pessimiste est parfois content. Comme les autres, je suis capable de rire, de plaisanter, d'être joyeux.
Pour comprendre l’excès d’informations que peut ressentir un Asperger dans une situation lambda et qui l’oblige constamment à se suradaptater, il faut se pencher sur son câblage neurologique, très différent de celui d’une personne neurotypique.
Figurez-vous un enchevêtrement de rails au sortir d’une gare, des rails qui partent dans plusieurs directions. Chez un Asperger, les connexions neurologiques ressemblent à ça. Chez un neurotypique, elles s’apparentent plus à des rails ordonnés en ligne droite.
Dans le cas du neurotypique, les connexions sont beaucoup moins nombreuses, rectilignes. Dans le cas de l’Asperger, elles s’apparentent à une boule de fils partant dans tous les sens, comme une grande armoire électrique avec un tas de câbles entremêlés.
En clair, quand vous entrez dans un train ou un métro, votre cerveau va sélectionner et encoder quatre ou cinq informations, pas plus, qui se manifesteront par autant de connexions neurologiques :
Moi, je vais recevoir en même temps des dizaines d’informations qui vont se télescoper et que je vais analyser à la seconde. Un vrai bombardement. J’entendrai tout, je verrai tout et mon cerveau grimpera très vite en surchauffe.
C'est peut-être vrai que je ne prête pas assez attention aux vivants. Parce que les interactions sociales me posent un problème, je ne sais pas faire. Avec les morts, nul besoin de politesse, de codes sociaux, de sentiments. Je donne l'impression que je m'en fous, des gens, mais ce n'est pas vrai. Je ne sais simplement pas gérer les vivants, à commencer par moi.
Sans les livres, je ne sais pas ce que je serais. Je n’aurais pas la philosophie de la vie que j’ai.