Aux aguets du moindre son murmuré, des mots vociférés ou susurrés, des ressassements non taris, je marche, et dans ma tête résonnent les paroles de ceux que j'ai connus, de ceux dont on m'a parlé, enfant, et qui entretiennent l'histoire de Moret-sur-Raguse, de ceux dont j'avais deviné l'existence et tenté la reconstruction biographique autant par recoupements que par ce qu'on me taisait, de ceux, enfouis dans le siècle passé, qui n'ont laissé qu'une trace fragile dans la mémoire de la communauté, et tous ceux-là qui m'emplissent, moi, l'oreille tendue vers leur bouche, de leurs mots.
"A l'âge de mes 14 ans, mon père, Georges Vinchon, m'a prise. Il m'a prise à l'âge de mes 14 ans, et il m'a prise encore et encore jusqu'à l'âge de mes vingt ans [...] il m'a prise devant ma mère qui se taisait, devant ma soeur criait [...] et mon sang a coulé, et il n'a pas cessé de couler" Christine Letourneux, née Vinchon
Sophie Larguit
1936-1989
Je ne suis pas morte je repose nuance
Justin Vigne
1869-1953
alors là
alors là
moi qui me disais toujours tu verras bien quand tu y seras
nib à voir
que dalle
on se raconte plein de choses
on s'en fait tout un plat
on se monte le bourrichon
on extrapole
on suppute
on fabule
et total
nada
mais ce qui s'appelle queue de chie
Pierre Baret (1934-1975)
Juliette Baret, née Barbin (1937-1975)
Marc Baret (1957-1975)
Père: Salope !
Mère: Enculeur !
Fils: Oh oh !
Père: Connasse !
Mère: Péteux !
Père: Pouffiasse !
Mère: Bouseux !
Fils: ça va !
Père: Putain !
Mère Cocu !
Père: Frigide !
Mère: Impuissant !
Fils: ça suffit, les deux !
Mère: Pue-de-la-gueule !
Père: Coincée de l'oignon !
Mère: Enfileur de chèvres !
Père: Peine-à-jouir !
Mère: Ejaculateur tardif !
Père: Cul ridé !
Mère: Bite molle !
Père: Seins flasques !
Mère: Bourrique bourrelée !
Père: Fourglapissure !
Mère: Bournoufle !
Fils: La paix !
Père: Pétasse chiasseuse !
Mère: Encrassé du colon !
Fils: On pourrait ...
Père: Et toi la ferme !
Fils: Je disais rien.
Mère: On te connaît !
Fils: Mais je...
Père: Alors tu la boucles !
Mère: Compris !
Père: Pas un mot !
Mère: On veut pas t'entendre !
Père: Ta faute, étron !
Mère: La mienne, fiente ?
Père: T'en t'es occupée, merdouille ?
Mère: J'lui ai offert la carabine, moi, breneux ?
Père: Et l'amour maternel, lavasse ?
Mère: Et le respect filial, trouduc ?
Père: A couchailler, enrutée !
Mère: Fallait assurer andropausé !
Fils: Bon, on devrait...
Père et mère: Ta gueule, le parricide !
On est mort, on est mort. Pas de quoi en faire tout un plat. On est mort, on est mort. Sert à rien de radoter, de se raconter des histoires. Et patati, et patata, et encore des histoires déjà de son vivant ne distrayaient même pas personne. Alors quoi ! Qu'on arrête avec les histoires, qu'on arrête ! On est mort. On est mort. Quoi ?! Ca arrive, ça arrive. Alors qu'on arrête, qu'on arrête avec toutes ses histoires.
Colette Richet
1945
à peine née hop je meurs
valait mieux pour papa
ça lui aurait fait de la peine
lui qui avait déjà tant enduré là-bas
tout aussi bien qu'il ne soit pas revenu
et qu'il ne m'ait pas vue
ni sa Géraldine toute tondue traînée sur la place de la mairie
avec moi dans le ventre
chahutée et bousculée
que ses cheveux n'avaient pas encore repoussé
que hop je naquis et mourus