Chez nous, le vent est une personne. Il débarque à n'importe quelle heure. Il frappe aux porte, déglingue les volets, rien ne lui résiste et, de ses mains d'ogre, il trousse la chevelure des arbres. Il ne fait pas mystère de sa force lorsqu'il étrangle les eaux du canal. Il assomme l'eau verte, fauche les ombres, enfonce ses poings rageurs dans la glaise des chemins creux. Il sue sang et eau pour défenestrer les curieux qui se mettent en travers de sa route.
C'est fou ce que d'une seconde à l'autre, une femme que vous ne connaissiez pas peut s'imposer à vous comme une évidence.
Souvent, nous avons déménagé. A l'excès même. Au point que cela en devienne quasiment une religion, en tout cas une foi dans le changement, un art de vivre, un pari sur l'avenir.
J'ai laissé tomber à la page dix-sept un imbuvable polar néogothique auquel je préfère de loin le spectacle émoustillant des passantes. Dieu, que les femmes sont belles et savent rajeunir le regard des hommes !
J'ai longtemps gardé, au plus profond de moi, l'image intime de la jeune femme née avec le siècle et que l'écho des canons, la folie des hommes, avaient longtemps tenue éloignée de l'homme qui était mon père, Volodia, son Volodia chéri.
Le vent lui rafraîchit la figure. Ce vent-là, Uma le connait bien, c'est celui qui descend le fleuve, rebrousse la face nervurée des feuilles de balsa, s'acoquine aux remous étranglés des rapides que redoute tant sa pirogue.