Vidéo de Norbert Casteret
Dans le modeste cartable de moleskine, porté aux épaules comme un sac de soldat, le crayon et le porte-plume tressautant dans le plumier de bois, scandaient le trot du bambin, ainsi que les billes qui s'entrechoquaient dans sa poche.
A cette heure matinale où des cyclistes se hâtaient vers le bourg, où le bourriquot (sic) de la laitière trottinait dans un vacarme de bidons de fer-blanc, tandis que le facteur courbé sous sa lourde sacoche pédalait en sens inverse vers la campagne, le petit écolier qui courait évoquait irrésistiblement le lièvre du bon La Fontaine dont le fablier devait voisiner, dans le léger havresac, avec l'ardoise, La Lecture Courante et l'Histoire de France.
Peut-être même, pour avoir fait la grasse matinée ou, qui sait, l'école buissonnière, le retardataire méditait-il la morale liminaire : " Rien ne sert de courir, il faut partir à point" ?
Martel suivait son destin. Il avait la foi.
Non pas celle qui transporte les montagnes,
mais bien celle qui lui permettait de les transpercer, car le jour de ce mémorable télégramme fut aussi le jour faste ou il effectua la découverte retentissante de Padirac.
Le soleil va disparaitre derrière la sierra enneigée qui, trois cents siècles plus tard, s'appellera les Pyrénées.
Dans la houle des contreforts boisés, au pied d'une falaise, s'ouvre un porche de grotte comme il y en a tant sur ce front nord de la chaine franco espagnole.
C'est la "Caverne des Rochers" qui sert d'habitat à une tribu préhistorique aurignacienne...
A mes pieds s'étend--phénomène inédit-- une prairie souterraine irréelle, invraisemblable, dont chaque herbe, chaque brin est blanc ou translucide.
Tam tire de sa sacoche de peau un silex, de l'amadou et un morceau de marcassite et, d'un geste habile il bat le briquet, enflamme l'amadou et allume une lampe.
Il s'empare d'un faisceau de torches et va s'avancer peureusement dans la grotte, lorsqu'il avise sur une sorte de crédence rocheuse un masque rituel.
Cet objet magique confère à l'homme un pouvoir surnaturel et lui permet de s'élever au niveau des esprits.
A défaut du Sorcier, seul qualifié pour imposer à un profane le port du masque sacré, Tam s'initie lui-même et se coiffe de l'étrange capuche surmontée de cornes d'isard et pourvue d'un loup dont les yeux cerclés de blanc et une barbiche de bouquetin donnent au porteur une physionomie hallucinante...
Page 43 La grotte des chevaux.
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Cette perspective de nous retrouver ainsi à l'extérieur et d'avoir traversé la colline nous galvanise. Un regard sur notre provision de bougies jugée suffisante nous rassure et nous fonçons de plus belle mais, hélas, pas longtemps; au premier détour un spectacle inattendu nous cloue sur place : la grotte s'achève ici en cul-de-sac complet, inexorable, et sur le sol est éparpillé le frêle squelette de l'animal dont les traces nous ont guidés jusqu’ici.
Quelques instants nous restons émus par l'évocation de ce drame souterrain que nous essayons de reconsti-tuer. La bête, une fouine, a pénétré dans la caverne par quelque étroite fissure de la voûte, par quelque crevasse communiquant avec l'extérieur. À la suite d'un cheminement, peut-être long et compliqué et à jamais mystérieux - car accessible seulement à de petits animaux -, la fouine s'est introduite dans la grotte. Blessée, malade ou égarée, elle a erré pour, à la longue, venir mourir misérablement au tréfonds de la caverne.
Cette fin, cette image de la mort, nous impressionne et nous attriste ; comme nous désenchante le fait que la grotte est bouchée.
Il n'y a rien d'aimable sous terre ; tout y est sévère, parfois sinistre, toujours grave, menaçant, et c'est sans doute pourquoi l'homme et les animaux s'en détournent instinctivement et professent l'horreur des ténèbres souterraines. Une infime minorité d'humains s'accommodent toutefois de ce domaine de mort et éprouvent intéret, passion même, à l’explorer: ce sont les spéléologues.
L'obstacle vaincu, nous sommes stupéfaits et vaguement inquiets de nous trouer de l'autre côté d'une fissure tellement étroite qu'il parait impossible de jamais la repasser en sens inverse.
Dès l'âge de quatre à cinq ans, [mes enfants] trottinaient et rampaient à ma suite dans les cavernes, car, en "père dénaturé" -comme je m'entendais traiter parfois- je les emmenais sous terre pour leur plus grande joie et leur plus grand bien, car ils y apprirent de bonne heure à se débrouiller, à ne pas avoir peur de la nuit et à admirer des décors souterrains. (chap. 15)