et si l’on voyait mes moitiés
et Bernard Pivot me demandait
quel est le plus beau mot
j’avais envie de dire mirage
mais j’avais honte
car on allait voir mes moitiés
dans la glace une femme permanente
voit une femme provisoire
« quel buste elle avait
avec ses tétons
elle aurait pu jouer du piano »
(traduit en français par Radu Bata)
je sens encore dans le nid de mes genoux
des petits d'outarde qui sucent là-bas dans leur sommeil
qui attendent de croître simultanément aux eaux
cette volonté est promise tel un matin
et infranchissable, seul Beroza sait
ce que font ces prairies hérétiques
quand vient le flux et que je tombe
et je me relève et je retombe
et je parle toute seule
Une irrésistible attraction
une jeune fille même une jeune fille était
ce fantôme blanc
un ectoplasme qui parlait au téléphone
puis le coup du jour en pleine figure
lorsque le téléphone disparaissait
y compris ses chiffres
il se cachait dans un foret
parmi les champignons rouges
comme des signaux d'alarme
on a déchiré ma réalité
et d'en dessous surgit la face du cheval
qui court seul sans jockey
Il y a des hommes
Il y a des hommes d'herbe
qui s'aiment dans les parcs
et les gardiens passent
sans les voir.
Il y a des hommes de fer
qui se lavent le corps dans les flammes
et leurs attouchements
fond les barreaux.
Il y a des hommes de terre
qui laissent les vêtements dans l'armoire
quand ils rencontrent les arbres
car leurs habits les font bégayer.
Tous s'en vont pareillement
comme pour une promenade dans le jardin
en laissant derrière eux
la porte largement ouverte.
(traduit du roumain par Radu Bata)
C'est peut-être là que se logent le blasphème et le péché de l'artiste, de ne pas vraiment s'identifier aux bons car les bons sont fades et les méchants si attirants, et, là où le mal est trop pâle, de pouvoir en rajouter de sa réserve personnelle.
avec quoi nous lisons la poésie
pas avec la sensibilité
avec l'intelligence non plus
tu as dit avec bon goût et tu t'es rapetissé
la poésie se lit avec ce qui l'écrit :
la face cachée de la lune
(traduit du roumain par Radu Bata)
Une femme repasse
oiseau blanc sans tête
la femme repasse dans la cuisine septembre est une pensée
et la nuit un journal
le texte à moitié déchiré
nomme une lumière comme un raisin
nomme un adolescent
qui lit Novalis oiseau blanc sans tête
la nuit il faut dormir
(traduit du roumain par Constantin Abaluță et Gérard Augustin)
tu as beau haïr le passé, tu ne peux lui échapper.
C'est une bosse que l'on porte sur le dos toute sa vie.
sam marche a travers le ciel
dans ma ville pousse une racine tordue
comme une corne de bélier
dans ma ville il y a une chaise
depuis laquelle personne
ne peut toucher la terre
chut silence
sam écrit son poème
il voit le bateau
s’approcher du bout de la rue
il voit l’eau noire défiler lentement
il voit la bouclette d’une petite fille
tordue autour d’un doigt desséché
sam marche a travers le ciel
il doit gagner la Mecque
pour acheter des pommes
imaginez un poète de type classique
qui tète le sein de sa muse
un adolescent qui marche avec des échasses
dans la cage de sa propre mère
sam écrit et halète
après avoir ouvert mon aile
le déluge peut arriver
*
(traduit du roumain par Linda Maria Baros)
CES GARCONS MAIGRES
Ces garçons maigres
qui me ressemblent ;
mon mari
le vendeur de citrons,
le musicien et le chauffeur,
ces belles carcasses,
des fleurs aux articulations
effondrées sous le fardeau des cygnes
qui chantent sur leur dos,
s’agenouillent le soir
avant de faire le signe de croix
sur mon ventre
et puis glissent dans les mers
comme les poissons oblongs,
comme les feuilles fanées de lune,
me passant toujours dessus,
sans déplacer ma lumière