C’était une femme pleine de contradictions. Très entourée, elle avait dû apprendre à user d’humour, un humour très noir, afin de détendre l’atmosphère et de faire oublier son côté ténébreux en société. Elle rêvait cependant secrètement de ne plus devoir jouer un rôle. Mais malgré cela, malgré les regards et les quolibets, et malgré le fait qu’elle n’avait pas vraiment choisi la voie du surnaturel, qui s’était plutôt imposée d’elle-même, Francine aimait ce qu’elle faisait. Cela lui permettait de toucher à une partie invisible que la plupart des gens ne pouvait que fantasmer et cela l’excitait au plus haut point.
Ce jour-là, ce n’était pas par envie qu’elle se rendait dans la région du Creux de l’Enfer, ni à cause du misérable cachet proposé par le gérant de l’Hôtel de la Falaise, mais bien parce qu’elle avait reçu, une semaine auparavant environ, une lettre étrange d’une certaine Lise Artaut, qui lui parlait d’une affaire que Francine avait encore parfaitement en mémoire.
Dolorès avait fait ses preuves, dernièrement, et cela même si la période de guerre avait quelque peu ralenti le milieu du cinéma, elle avait tourné dans « La Secte du Diamant noir », un thriller palpitant dont elle se préparait à faire la promotion avec son mari, Ludwig Froidevaux, la semaine qui allait suivre. Dolorès avait d’abord été connue pour son premier film « Je chanterai tant que je vivrai » dans lequel sa réplique culte, bien qu’incompréhensible, même pour elle, « Moi femme, jamais je ne serai désappointée par un pointé pointeau ! » était restée dans toutes les mémoires. C’était une grande femme rousse, élancée, à la limite du vulgaire mais uniquement lorsqu’elle le choisissait et en jouait avec délectation. Un petit point de beauté à la droite de sa lèvre supérieure en avait fait tomber plus d’un, mais ce que personne ne savait, c’est que chaque matin, devant son miroir, l’actrice prenait grand soin à le dessiner au crayon.
Il y a beaucoup de choses qui peuvent modifier la conscience, alterner ou transformer la vision que vous vous faites du monde. Vous êtes bien placée pour le savoir.
Sa discrétion était sa marque de fabrique depuis le jour où il était né presque sans un pleur, non loin de Lyon, dans une petite ferme familiale. Ceci lui avait pourtant coûté quelques maeuvaises expériences dès son plus jeune âge. On le traitait de taré et d’aliéné car jamais il ne se mêlait aux autres enfants et les enfants sont méchants entre eux, c’est bien connu. Une seule différence suffisait pour qu’on la pointe du doigt.
Dessiner, c’était sa façon de faire taire les ombres qui pouvaient parfois l’assaillir. Elle couchait ses visions, et elles étaient atténuées.
Eryk se redressa et débuta une course acharnée et douloureuse le long de la route qui devenait de plus en plus précise. Arrivé à une cinquantaine de mètres de là, lorsque le gravier et la boue laissèrent place à l’asphalte, il se retourna. Il avait besoin de voir une dernière fois les ombres, comme pour se prouver à lui-même qu’il n’était pas fou.
Guyart n'en croyait pas ses yeux non plus. Ce qu'ils avaient là, devant eux, était la preuve de l'existence de Dieu, lui qui n'avait jamais daigné se manifester autrement que par des récits, il avait envoyé un signe.
Il ne pouvait pas se permettre d’héberger un voleur ou même pire, un meurtrier. Avec les atroces événements qui se déroulaient dans la région du Creux de l’Enfer en ce moment, il fallait être prudent.