Deuxième point commun de ces expulsions : leur grande violence. Pas physiquement ( peut-être parce que les associations s’efforcent d’être présentes à chaque fois) mais symboliquement. D’abord par l’énorme déploiement de forces policières ultra équipées alors que les habitants (c’est même frappant) ne se révoltent jamais ! Ensuite par la présence, presque à chaque fois, des engins de démolition qui interviendront sitôt l’expulsion réalisée. Bien souvent ils se mettent en action dès le dernier habitant sorti de sa baraque. Ainsi, les habitants peuvent voir voler en éclats les lieux où ils ont vécu pendant des mois. Parfois tout de même aussi, grande violence de propos. Ainsi, lors d’une évacuation, l’un des policiers chargés de vérifier que les baraques étaient vides avant de les faire détruire, glissait à son camarade (sans repérer qu’il était entendu) : « Quand on va entrer dans les baraques, moi je regarde partout, sous les lits, partout, parce que c’est comme les rats, ils se cachent partout ! » Et son collègue de répondre : « Moi, je vais flanquer des coups de hache partout : si ça crie, ce sera qu’il y avait quelqu’un de caché sous les couvertures. »
« Nos espérances se décourageraient si les quartiers misérables dont nous poursuivons l’assainissement, devaient être régulièrement infectés, le mot n’est pas trop fort, par ces invasions de mendiants qui viennent de XX. Ces populations étrangères à notre département, chez lesquelles la malpropreté la plus repoussante est une seconde nature et dont la dégradation morale est descendue à un niveau effrayant, viennent périodiquement encombrer nos quartiers les plus pauvres et les plus insalubres [...]. Lorsqu’ils parviennent à occuper des habitations qui ne sont pas, par elles-mêmes, dans des conditions d’insalubrité, leurs habitudes d’une malpropreté hideuse, sur la personne, les vêtements, dans toutes les fonctions usuelles de la vie, ne tardent pas à y créer une insalubrité grave [...]. Les mesures tendant à arrêter l’envahissement du mal seraient non moins dans l’intérêt de la population de notre ville que dans le véritable intérêt de ces infortunés [...]. La plupart ne comprennent ou ne parlent que XX ; ils sont donc dans l’impossibilité de pouvoir s’employer utilement, sauf le cas exceptionnel de grands travaux de terrassement. La charité publique ne leur est pas accessible parce qu’elle n’est acquise qu’à certaines conditions de domicile; leur seule ressource est la charité privée, c’est à dire son exploitation par la mendicité. »
Les mots « datent ». Mais, dit un peu différemment, on pourrait retrouver aujourd’hui un tel discours. Or, ce rapport est de ...1851; il a été rédigé à l’attention du maire de Nantes et les terribles populations décrites sont simplement des Bas-Bretons fuyant la misère de leur campagnes et venus tenter leur chance à la ville.
Comme le dit l’essayiste Georges Elgozy : « On imagine mal la somme de catastrophes que chacun peut supporter dans l’indifférence, pour peu qu’elles s’abattent sur autrui. »