Juin 1965
Ce n'est pas un mariage arrangé, c'est un mariage qui arrange tout le monde. À la minute où Jean aperçoit Mathilde, il en tombe follement amoureux. Jamais dans ses rêves les plus fous, Jean n'avait osé imaginer qu'une telle fille puisse même le regarder. Elle est tellement belle, grande, mince, la silhouette élancée, de longs cheveux noirs, les yeux verts. C'est un garçon fier, plutôt sombre, discret presque effacé. Cette rencontre est une révélation, le signe qu'il attendait pour donner vie à son existence. Après quelques rencontres, il s'est très vite déclaré, à sa grande surprise, elle a tout de suite dit oui sans hésiter. Il n'a pas envie de se poser de question. Il veut vivre pleinement son rêve. Il est l'aîné d'une famille de cinq enfants. Il a été élevé par son beau-père que sa mère a épousé en 1947, il avait trois ans. En silence, il en veut à sa mère de n'avoir jamais voulu lui révéler qui était son père. C'est un solitaire rempli d'amertume. Il garde ses distances vis-à-vis de ses frères et soeur car il s'est toujours senti à part sans vraiment parvenir à trouver sa place au sein de la famille.
Au Petit Quevilly, ses parents occupent un emploi municipal, ils sont gardiens d'un petit parc de manège pour enfants où ils disposent d'une maison de fonction. C'est une famille modeste et tranquille. Les échanges sont assez limités, on s'aime bien mais on ne se le dit pas. Jean a eu une enfance paisible à l'abri du besoin. Une vie scolaire sans problème. Il a une belle écriture, il aime lire, il s'intéresse à l'histoire. Il a suivi les cours de catéchisme, il a fait sa communion à Saint-Antoine, l'église du quartier. Il fait son service militaire en Allemagne. Il est appelé à l'automne 1962. La vie militaire lui convient à merveille. Il aime cette vie organisée, sans imprévu et il se sent sur un pied d'égalité avec ses camarades. De retour à la vie civile, il commence à travailler. Il n'a suivi aucune formation professionnelle mais au coeur des années soixante ce n'est pas une préoccupation, la vie est simple, il faut seulement gagner sa vie et le travail ne manque pas.