Vous pensez que vous avez des problèmes ? Moi, je suis en train de me faire dévorer par un ours ! Oh, mais désolé, toutes mes excuses, écoutons donc vos problèmes ! Mmm-hmm ? Alors comme ça, votre patron est méchant avec vous ? Et votre voiture vous cause des soucis ? Et vous vous inquiétez pour l’environnement ? Tiens donc ! Votre environnement vient juste de me bouffer un pied ! Je pisse mon sang sur votre environnement. Et ce n’est pas ce qui me soulagerait de toute la souffrance et de la peur que j’éprouverais si je ne m’étais pas aussi bien prémuni contre les sensations déplaisantes en avalant tout un tas d’analgésiques aux propriétés miraculeuses. Enfin, piètre consolation : je peux donc à présent affirmer sans crainte d’être contredit que MES PROBLÈMES SONT PIRES QUE LES VÔTRES. Alors fermez-la avec vos problèmes, OK ? Bon.
Si vous étiez réel, si vous étiez vraiment ici, et si vous étiez quelqu’un de bien, je suis sûr que vous auriez déjà appelé LES SECOURS. Ou peut-être vous seriez-vous réfugié dans un arbre, mais, quand l’ours aurait cessé de me mâcher et serait tranquillement reparti chez lui, vous seriez sans doute descendu de votre perchoir à lopette, vous auriez pris mon pouls et m’auriez demandé si je me sentais bien ou, plus exactement, si je n’étais pas encore mort. Une fois la certitude acquise que je n’étais pas encore mort, vous auriez couru chercher un garde forestier, ou une ambulance tout-terrain ou un hélico de sauvetage dont le rayon d’action serait suffisant pour atteindre cet endroit perdu au milieu des immensités sauvages de l’Alaska. Une équipe de secours serait venue s’occuper de moi pendant qu’une colonne de recherche se serait lancée aux trousses de ce damné ours noir pour lui exploser sa grosse tête poilue. Et, dans l’idéal, il y aurait aussi eu une dépanneuse pour remorquer mon Range Rover jusqu’au concessionnaire d’Anchorage. Et là j’aurais fait jouer mon assurance tous risques – oh ! si coûteuse mais si précieuse – pour que ma pauvre et adorable machine roulante fût réparée, briquée, révisée et ravitaillée en attendant ma complète guérison. Et puis, tous les deux – c’est-à-dire moi et ma voiture -, nous aurions repris la route dans le soleil couchant et ne nous serions plus jamais aventurés au nord de Vancouver.
Tous ces livres de gourous du management dans les toilettes de la direction insistent sur le fait qu'un bon dirigeant ne doit jamais hésiter à prendre des mesures fortes si nécessaire. Ca exige du courage, bien sûr, mais aussi des tripes et deux garrots. Je vais ôter ma veste en me tortillant et déchirer les manches de ma chemise de randonnée en flanelle de coton Ralph Lauren -après tout, pourquoi pas ? Tous mes autres vêtements sont déjà en loques... Je serrerai fermement les garrots et scierai au-dessous des genoux... Ca craint, mais il n'y a pas d'autre solution. Une fois que ce sera fait, j'espère bien qu'ils auront trouvé un donneur de jambes sur un terrain de basket, qu'ils l'auront endormi et installé sur la table d'opération quand je débarquerai dans le service de neurochirurgie de l'hôpital de garde d'Anchorage. Un grand type avec des grands pieds.
Aussitôt que je me serai amputé, je ramperai du mieux possible jusqu'au pare-chocs avant derrière lequel j'ai caché une clé de secours dans une petite boîte magnétique. Oh , oui... Vous ai-je précisé que je suis bien préparé ?
« Vous pensez que vous avez des problèmes ? Moi, je suis en train de me faire dévorer par un ours ! Oh, mais désolé, toutes mes excuses, écoutons donc vos problèmes ! Mmm-hmm ? Alors comme ça, votre patron est méchant avec vous ? Et votre voiture vous cause des soucis ? Et vous vous inquiétez pour l’environnement ? Tiens donc ! Votre environnement vient juste de me bouffer un pied ! Je pisse mon sang sur votre environnement. Je peux donc à présent affirmer sans crainte d’être contredit que MES PROBLÈMES SONT PIRES QUE LES VÔTRES. Alors fermez-la avec vos problèmes, OK ? »
Si vous étiez ici et me prêtiez une oreille attentive, vous vous demanderiez sans doute quelle sorte d’activité de renforcement de l’esprit d’équipe nous avions en vue, moi et mes abrutis de créateurs de nouvelles tendances, pour voyager si loin de notre élément naturel, c’est-à-dire nos bureaux à air conditionné du vingt-deuxième étage du célèbre Merch Building de Seattle. Quelle expérience unique espérions-nous vivre dans un endroit pareil ? Croyions-nous vraiment que nous allions nous transformer en un invincible Godzilla à cinq têtes de la publicité ? Merde, je ne sais pas, je ne crois pas à toutes ces foutaises sur le travail d’équipe. Après tout, une équipe n’est jamais qu’un groupe d’individus qui font ce que je leur dis de faire s’ils ne veulent pas être virés.
Et la nature humaine nous joue une belle et étrange farce : car une fois qu'on a décidé de valoir un peu plus que les autres, on se met à rencontrer un tas de gens qui pensent valoir un peu moins que soi. Et plus on s'occupe de soi, plus les autres veulent se charger de la besogne pour vous. Pas tout le monde, mais suffisamment. La route vers le sommet est pavée des visages souriants des autres et, globalement, ces gens vous invitent à leur piétiner la gueule. C'est une curieuse réalité de la vie.
Il n'y a pas de dieu. Comment pourrait-il y en avoir un? Dieu ne saloperait pas un concept aussi brillant que l'Homo Sapiens avec de la douleur. Seule la Nature peut se montrer aussi bête et cruelle.
Après tout, une équipe n'est jamais qu'un groupe d'individus qui font ce que je leur dis de faire s'ils ne veulent pas être virés.