Citations de Murielle Magellan (201)
On ne sait pas comment, mais le plus souvent on surmonte l’insurmontable. On ne sait pas d’où ça vient, mais ce premier baiser qu’il faut donner, cette parole engageante qu’il faut prononcer pour obtenir davantage, cet avis qu’on nous demande, cette réclamation qu’on doit faire, tout cela, souvent – au prix d’un effort considérable, certes –, finit par arriver. Le temps passe et on ne se souvient plus de l’effort. Ne reste que la satisfaction de la chose accomplie.
C’est de cet endroit mystérieux que part la première parole de Laura. Elle n’est ni plus ni moins pertinente qu’une autre. Elle est simplement le début d’une immense audace « Quand vous évoquiez ce grand amour tout à l’heure, cet amour exceptionnel, j’ai pensé à votre roman Suspensions qui m’a beaucoup plu.
Elle ne comprend pas toujours mais l’érudition a un effet presque érotique sur elle. Ceux qui approfondissent, confrontent, affirment, doutent, même publiquement, l’élargissent, comme des cuisses ouvertes pour l’amour ou la naissance. (p22)
Par un effet de contre-plongée, l'ombre portée sur le mur donne elle-même à l'arbre nain et à ses fruits des allures de géant.
Oui c'est au contact de Charlie qu'il a compris à quel point notre époque avait honte de la douceur.
Aujourd'hui, les tendres cabossés sont des has been.
p197
« Elle est jalouse et on n’est pas jaloux ainsi d’un ami. Elle est jalouse donc. Elle est jalouse donc elle aime Paul ? » (p. 152)
Sa grand-mère, en revanche, chez qui il allait souvent, abordait la misère de la nature humaine à grand renfort de facétie. Cette femme juive, pratiquante à sa façon, pouvait éclater de rire quand elle voyait Le Pen à la télé parler de détail de l'histoire. "Qu'il est con, mais qu'il est con !" décochait elle sans cesser de s'esclaffer, allant même, malgré son petit gabarit, jusqu'à l'imiter en se levant et en arpentant la pièce à la Charlie Chaplin.
[ au sujet d'-"Au-delà des frontières" de Makine ]
Journal
Je suis sincère. Même si elles me choquent parfois, j'aime ces voix qui ne rejoignent pas les refrains ambiants; ces voix qui interrogent le monde et son évolution sans idéologie, ou presque, en prenant en compte les aberrations de la nature humaine. -au-delà des frontières - laisse une trace de désespoir mais surprend par son issue utopique, mégalomane: les héros se retrouvent à la fin du roman au fin fond de la Sibérie et repartent à zéro, en quelque sorte, pour imaginer un nouveau monde, une nouvelle humanité, fondés sur de tout autres valeurs que les nôtres. Avant cela, l'écrivain s'est amusé avec notre société, les extrêmes-droite et gauche-sont moquées à traits satiriques. Il y a du Brecht réac dans l'exagération du tableau. Le texte n'émeut pas mais tourmente; ce n'est pas rien. (p. 34)
"La nuit tombe plus tôt". C'est tout ce que je suis devenu capable de dire. C'est ça vieillir, tu vois. Cette lucidité et pourtant, cette résignation au poncif. À l'évidence. Tu rejoins le troupeau car tu connais déjà l'inefficacité de la démarcation. Même quand il y a une grande cause aujourd'hui : le harcèlement des femmes, la maltraitance des migrants, la misère, tout simplement, tu écoutes autour et tu entends : la nuit tombe plus tôt ! Des formules types, toutes blanches ou noires, bien formatées par la famille de pensée d'untel ou d'unetelle. Je hais les phrases toutes faites.
Marie peut se soumettre aux ordres, mais quand il s'agit de corps et de coeur, la pulsion de vie l'emporte sur le devoir.
Tu en vois, toi, des poètes ? Tu en vois, toi, des juges qui sortent de leur routine ou de leur ambition ? Ou même des scientifiques qui bousculent le monde autrement que pour ajouter des fonctionnalités à ton iPhone, tu en vois ? Parce que c’est ça, les scientifiques d’aujourd’hui, des performeurs, des développeurs du mammifère homme, « Blade Runner », tu as vu le film ?
Cette tristesse n'a plus rien à voir avec le malheur. C'est une tonalité plus qu'un résultat, comme un mode mineur n'empêche en rien la beauté d'une oeuvre. Nul n'est tenu à la joie. (p. 129)
L'important, c'est le regard. C'est l’œil. Le muscler. "Qu'est-ce que tu vois ?", "Comment tu le vois ?", "En quoi ce que tu vois te transforme ?", c'est ça qui m'amuse. Beaucoup écoutent trop et ne regardent pas assez. Il faut regarder à rebrousse-poil. Lutter contre la tendance qui est de pérorer en regardant.
Elle n'expose pas seulement une oeuvre elle expose un homme qui a fait une oeuvre.
La littérature, la philosophie, ce sont des traces trop explicites de l'éternel recommencement. Lire, c'est s'apercevoir que tout a déjà été dit.
(...) je n'ai aucun don pour la conversation. Les mots me hantent à longueur de journée, en valse incessante. Mais lorsqu'il s'agit de les amener dehors, ils me paraissent vains, de fumeuses musiques de restaurants, qui inondent et embrouillent.
(p. 73)
Depuis des décennies les écoles de commerce, et pas seulement la leur, non, toutes, à tous niveaux, se révélaient les ignobles complices de la destruction d'une discipline dont la noblesse s'était perdue dans l'appât du gain. Oui, le commerce était une noble discipline et l'enseignement que leurs aînés prodiguaient n'était pas pour rien dans l'opprobre qu'il suscitait aujourd'hui. Ils en étaient responsables, même, autant que l'abruti qui avait inventé le mot 'négoce', dont l'étymologie neg-otium, négation du loisir, donnait envie de le pratiquer comme de se pendre.
(p. 123)
Dès l'enfance, Mona a eu la sensation que vivre était un effort. Rien n'était naturel, dans 'vivre'. Pourtant, ses parents semblaient pratiquer cette activité le plus simplement du monde, inspirer, expirer, affronter les difficultés habituelles du quotidien sans autres préoccupations que de les surmonter.
(p. 44)
La liberté et le bonheur sont les plus grandes arnaques du XXIe siècle.
Quand Lydie lui tend enfin l'arbre empaqueté, Marie a la sensation de s'emparer de la clé d'un coffre-fort dont elle ignore le contenu mais qui lui procure une joie immense.
Aujourd'hui les tendres cabossés sont has been. Lemonde aime les carnassiers, les femmes et les hommes en colère. Il faut "être en guerre". On n'écoute que ceux-là, les battants, leur rage à peine dissimulée est perçue comme une qualité pour survivre et gagner. On associe la douceur à la faiblesse.