Michel Deville. La femme en bleu . 1973
Mots Croisés
Les grands seigneurs, les chevaliers,
Les grands prélats ou de moins grands
Et la cohorte des manants
En route vers Jérusalem
S'arrêtaient le soir, harassés.
Certains écrivaient des poèmes,
D'autres, toujours l'amour des mots,
Devant les grilles des châteaux
Jouaient à un jeu
Baptisé
En souvenir d'eux
Mots croisés.
"Les Croisades"
ECCLESIASTISME ...
Suppositionnons un instant
Que l'évêque de
Pont-L'Évêque
A trop d'abbés dans son giron.
Et maintenant
Hypothésons
Qu'un pauvre évêque de
Corrèze
Manque d'abbés dans son diocèse.
Pas de problème
En vérité :
Notre évêque numéro un,
Pour une poignée de dollars,
Cède un abbé (Au hasard)
Au deuxième,
C'est enfantin,
C'est l'abbé cédé du métier.
Post-scriptum vobiscum
Très entre nous soit dit et sans facétie faire,
Sans jouer les délicats ni les cathos réacs,
Pensez-vous que ce soit à de telles affaires
Que les évêques vaquent ?
Conte de Noël
En Normandie redescendu
Et victime d'un accident
De rue,
La gorge sèche,
Jésus crie
De douleur.
- Où tu crèches ?
Lui demande un agent
L'oeil verbalisateur.
- Boulevard Lannes, Elbeuf
Répondit le... mais si !
Le petit lapin noir
II est tout malheureux, le petit lapin noir
Que sa blanche maman, ce soir, a rejeté
De la communauté.
Pas de lapin noir
Chez les lapins blancs,
C’est clair, mon enfant ?
Bonsoir !
Et on lui claque au nez la porte.
Il est jeune, il fait froid, qu’importe.
Rien ne sert ici d’insister,
II faut patte blanche montrer.
Alors, le petit lapin noir,
Dans un extrême désespoir,
Mais n’ayant pas de carabine,
Va se noyer dans la farine.
La neige, en rafale, soudain,
Hélas, lui bloque le chemin
Du moulin.
Quel destin,
Dieu, quel destin, petit lapin !
Lors, toute la nuit, il attend,
Et le lendemain, au matin,
Quand sa maman le voit dans son beau manteau blanc
Et qu’il n’est plus question de le laisser dehors,
Le petit lapin noir, vraiment, est bien content,
Bien que mort.
DÉSILLUSION
Assis devant sa niche, un gros chien, tristement,
Regardait dans la nuit disparaître son maître
Qui l’avait attaché (battu, même, peut-être ?)
Et le gros chien pensait, en lissant sa moustache
D’un geste négligent :
On s’attache, on s’attache…
IMPRESSIONS
Les chemins de Meulan,
Les champs lents de Meulin,
Les câlins des mulots,
Les halos des moulins,
Les ballots du mulet,
Les melons du Malin
Et venant de Milan
Sur le quai 2001
Les mollets d'Amélie,
L'homélie du mélo,
La Vénus de Millet,
L'Angélus de Milo.
Le beau lac endormi rêvait aux océans,
Charivari grandiose et ressacs rugissants,
Ayant par-devers lui, ad vitam aeternam,
Comme un regret morose et de la vague à l'âme,,,
AVENUES ET BOULEVARDS
Énormes et menues,
J'aime les avenues
De Paris et d'ailleurs,
Et quoi de mieux d'ailleurs
Que la Cinquième, belle
Comme une symphonie ?
Avenues, je vous aime
D'un amour infini !
Ce n'est donc pur hasard
Si (je me mets à nu)
Je hais les boulevards,
Nuls et non avenus.
AMOUR FOU
Et je rime et je rame à Rome
Et je ris de son rare arôme !
Quoi de plus naturel,
Madame,
Puisque j’aime le rire
Les rames
Les rimes
Et Rome…
C’est de mon âge
Et quel dommage
Ah ! quel dommage, quel dommage
Qu’il n’y ait pas de lac à Rome !
À Rome où je me damne
D’amour pour vous, Madame.
Alors, ô croyez-m’en,
(À vos pieds je me vautre)
Retirez vite votre
Robe, l’unique objet de mon ressentiment.