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Citations de Maurice Genevoix (383)


Mais comment irais-je au-delà ?
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un de mes premiers émois en matière de lecture!
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Nature rêveuse et passionnée, accordée aux forces de l'univers, aux miracles des saisons, à la couleur de l'air et aux paroles du vent qui passe, Bonavent était poète. Il vivait au-delà des choses, attiré par des mystères que les hommes ordinaires ne voient point.
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Une plaque d'acier blindé monte très haut et retombe, comme un couperet de guillotine. Souesme passe devant moi, la face plâtrée de boue jaune, les deux mains sur les reins; derrière lui, Montigny ; derrière encore, Jaffelin: c'est bon; allez-vous-en, ensevelis, blessés, démolis. Je regarde bien, au passage, la crispation de vos visages, l'angoisse presque folle de vos yeux, cette détresse de la mort qui reste vacillante au fond de vos prunelles, comme une flamme sous une eau sombre... Quel sens ? Tout cela n'a pas de sens. Le monde, sur la crête des Éparges, le monde entier danse au long du temps une espèce de farce démente, tournoie autour de moi dans un trémoussement hideux, incompréhensible et grotesque.

Chez toi, Porchon : l'ample Beauce, les champs de blé au crépuscule; les corneilles dans le ciel frais, entre les deux tours de Sainte-Croix... Chez nous, Porchon : la Loire au fil des berges lentes... Quel sens ? Pourquoi ? Des hommes crient dans l' entonnoir 7 entre les rafales d'obus. Encore ! Et de sombres débris soulevés dans la fumée, et leur chute mate heurtant la boue...

C'est alors que ce 210 est tombé. Je l' ai senti à la fois sur ma nuque, assené en massue formidable, et devant moi, fournaise rouge et grondante. Voilà comment un obus vous tue. Je ne bougerai pas mes mains pour les fourrer dans ma poitrine ouverte; si je pouvais les ramener vers moi, j'enfoncerais mes deux mains dans la tiédeur de mes viscères à nu ; si j'étais debout devant moi, je verrais ma trachée pâle, mes poumons et mon coeur à travers mes côtes défoncées. Pas un geste, par pitié pour moi ! Les yeux fermés, comme Laviolette, et mourir seul.
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" Le 11 Mars, des Eparges.
" Je suis dans la chambre du curé, celle dont je t'ai parlé souvent et où l'on est tout près des boches. Ils ont appris pendant l'affaire, ou avant, que nous avions là un poste de commandement ; et ils ont tiré à gros calibre : un 210 a salement aplati une moitié de la maison ; un 150, qui a crevé le toit, est tombé dans la pièce voisine, près de l'horloge au carillon clair, et n'a pas éclaté. Il est encore là, tout rond, inexpressif. On a dressé autour une petite barricade, de crainte que quelque brave crétin n'aille donner du pied dans la fusée.
La chambre est restée debout hors l'amoncellement des moellons ; son papier à fleurs n'a pas une égratignure. "
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arrêt brusque, piétinement sur place. Nous y sommes : Rupt-en-Woëvre. Le régiment forme les faisceaux dans un champ, au seuil du village. Je ne comprend rien à la situation : je m'oriente à peine. Il est deux heures du matin.
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A quoi bon expliquer ? Les mots ne peuvent servir à rien, qu'à meurtrir davantage encore, à empirer le mal qui existe. Il souffrait bien assez déjà ; chaque minute de plus dans cette salle, près de ce lit, serait une mauvaise minute.
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Les soleils tournaient dans le ciel. L'alternance des aubes et des soirs, dans cette halte aux rives du temps, était comme un vague bercement, d'une ampleur immense et très douce.
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C'était maintenant le plein été, l'époque des soirs interminables, des nuits tièdes et transparentes où la pâleur trainante de l'aube prolonge sous l'horizon la clarté du crépuscule.
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L'homme est un être intelligent. Le progrès est sa raison d'être, sa fin… Cela étant, comment un homme vraiment… enfin bref, un homme – comment pourrait-il accepter de se battre, consentir, même tacitement, à cette régression qu'est la guerre ?…
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Je ne suis pas un mauvais gars : je ressemble les ceusses de chez nous, c'est mon mal.
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Pitié pour nous, forçats de guerre qui n’avions pas voulu cela, pour nous qui étions des hommes et qui désespérons de jamais le redevenir !
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Ce que nous avons déjà fait... En vérité, c'est plus qu'on ne pouvait demander à des hommes. Et nous l'avons fait.
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Ce que nous avons fait, c'est plus qu'on ne pouvait demander à des hommes et nous l'avons fait
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Comme Rupt a changé! Le ruisseau coule dans une plaine rase, balafrée d'ornières, sans une touffe d'herbe : des canons gris badigeonnés de fange; des hangars couverts de chaume; des chevaux à l'attache, tristes bêtes faméliques, aux grands yeux farouches et doux; des artilleurs assis au bord de la route; d'autres qui cheminent à travers la plaine, des bottes de paille sur les épaules, des seaux de toile au bout des bras; et toujours des canons alignés, d'autres hangars, d'autres chevaux; toujours cette couleur de chaume et de boue, couleur de nos visages, couleur de la guerre...
"Essuyez vos pieds, là donc!"
Mmes Porcherot, mère et fille, nous ont regardés avec méfiance. Il y avait chez elles un capitaine du 25. Cérémonieusement, elles nous ont mis à la porte.
Nous passerons nos trois jours dans cette maison abandonnée. Nous achèterons à la bouchère des cigarettes de tabac d'Orient, au tailleur des huîtres portugaises; et nous irons à la messe de minuit.
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« Entrez donc, me dit Estelle, qui m’aperçoit par-dessus les têtes. Ces messieurs sont dans la petite salle. »
Ils y sont tous, Jeannot, Hirsch et Muller, les trios de la 5e qui ne se quittent jamais ; Morline, de la 6e, le calme et souriant Morline, qui songe sans cesse à sa maison dévastée par les Boches, mais qui n’en parle pas ; et Thellier, avec sa joue crevée d’une cicatrice, ses dents cassées par une balle de Somaisne.
Je ne peux plus les voir, maintenant, sans qu’une autre vision surgisse entre eux : et c’est, sur une civière fangeuse allongé à même la boue, près de Soriot qui vient de mourir, Maignan sanglant qui va mourir.
Cela passera ; il faudra bien…
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A la jumelle, je vois sur un chemin deux blessés qui se traînent, deux Français. Un des uhlans les a aperçus. Il a mis pied à terre, s'avance vers eux. Je suis la scène de toute mon attention. Le voici qui les aborde, qui leur parle ; et tous les trois se mettent en marche cers un gros buisson voisin de la route, l'Allemand entre les deux Français, les soutenant, les exhortant sans doute de la voix. Et là, précautionneusement, le grand cavalier gris aide les nôtres à s'étendre. Il est courbé vers eux, il ne se relève pas ; je suis certain qu'il les panse. (p 49)
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Un faix de chaînes lui pesait au garrot, lui nouait aux jambes de traînantes étraves dans cette forêt où ils (l'homme et le chien) rôdaient sans trêve, aussitôt cachés qu'apparus, aussitôt revenus qu'en allés.
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Elles sont infimes, par les gouttes de la bruine, par les écorchures de nos mains gercées, par le tintement d'une gamelle qu'on heurte, par la respiration imperceptible de Lardin ; mais si grandes, si monstrueuses qu'elles soient par l'étalement ignoble des cadavres, par le fracas sans fin des plus lourdes torpilles, elles ne peuvent l'être assez pour dépasser notre force de sentir, pour l' étouffer enfin, aidant notre immense fatigue. Plus nous sommes fatigués, plus notre être s'ouvre et se creuse, avide malgré nous, odieusement, de toute laideur et de toute méchanceté. Que tombent encore ces milliers d'obus, et pour n'importe quelle durée ! Entre les 77, les 150 et les 210, notre ouïe distingue au plus lointain les éclatements. Qu'ils sifflent plus raide encore! Que tout arrive ! Que tous ceux qui doivent être blessés le soient dans cet instant, et s'en aillent ! Que tous ceux qui doivent être tués cessent enfin d'être condamnés !

Le dernier obus qui est tombé dans l'entonnoir 7 a blessé Porchon à la tête. Quelqu'un nous l'a crié par-dessus la levée de terre: enseveli près de Rebière, dégagé avec lui, mais seul blessé d'un éclat léger, il est descendu au poste de secours, à cause du sang qui lui coulait dans l'oeil. Il y a longtemps déjà... Descendrai-je à mon tour, blessé comme lui d'un éclat heureux, mon sang coulant assez pour me contraindre à descendre ?..II ne voulait pas, d'abord; mais il n'y voyait plus, aveuglé par ce ruissellement, et Rebière lui disait: " Descends... Descends, mon vieux... Tu es idiot. "
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20 février ( 1915 )

Un grand balancement de la terre et du ciel à travers le, paupières cuisantes; du froid mouillé; des choses qu'on retrouve dans l' aube blême, les unes après les autres, et toutes; personne de tué dans les ténèbres, personne même d'enseveli malgré l'acharnement des obus: la même terre et les mêmes cadavres; toute la chair qui frémit comme de saccades intérieures, qui danse, profonde et chaude, et fait mal; même plus d'images, cette seule fatigue brûlante que la pluie glace à fleur de peau: et c'est un jour qui revient sur la crête, pendant que toutes les batteries boches continuent de tirer sur elle, sur ce qui reste de nous là-haut, mêlé à la boue, aux cadavres, à la glèbe naguère fertile, souillée maintenant de poisons, de chair morte, inguérissable de notre immonde supplice.

Est-ce qu'ils vont contre-attaquer encore ? Ils ne tirent que sur nous: c'est lâche. Nous savons que le colonel, chaque fois qu'il monte et redescend, téléphone vers le Montgirmont: " Qu'on relève mes hommes! Ils sont à bout! Si les Boches contre-attaquent encore, ils pourront venir avec des gourdins, avec leurs poings nus... " C'est ce que nous pensions, nous, l'autre jour. Ce matin, nous le pensons encore ; mais nous ne le croyons plus. Nous sommes très las, c'est vrai; on devrait nous relever, c'est vrai. Nous sommes presque à bout; presque... Et pourtant, ce matin encore, on a entendu cracher les canons-revolvers de Combres et claquer des coups de mauser: une nouvelle contre-attaque, que nous avons repoussée.

Il ne faut rien exagérer: au-dessous de nous, de l'autre côté du parados, un caporal de la 8e fait mijoter du cassoulet sur un réchaud d'alcool solidifié. Quelques hommes, de la 8e aussi, sont descendus près de lui; l'un d'eux parle du kiosque de sa soeur, marchande de journaux à Paris: " pour qu'elle comprenne les trous qu'ils font, explique-t-il, j'lui écrirai qu'on pourrait y loger au moins deux kiosques comme le sien. Et ça s'ra pas bourrage de crâne, hein, c'est-i' .? vrai "

Le colonel Boisredon a téléphoné une fois de plus: " Trois cents tués au régiment; un millier de blessés; plus de vingt officiers hors de combat, dont dix tués; des tranchées vides, ou du moins "tactiquement" vides; la crête perdue si les Boches contre-attaquent encore... " Le colonel Tillien a répondu: " Qu'ils tiennent. Qu'ils tiennent quand même, coûte que coûte. "

Comme s'ils savaient, les Boches répondent eux aussi. Et , c'est pire, au long du temps martelé d'obus énormes, de chutes sombres et multipliées. Le grand caporal a éteint son réchaud: il est parti, les autres avec lui. On redevient ce qu'on était hier, cette nuit, un peu plus las encore, sans étonnement d'être si las. Et malgré cette fatigue dont nous avons les reins brûlés, une lucidité vibrante rayonne de nous sur le monde, touche doucement et nous donne d'un seul coup toutes les choses que nous percevons, nous les impose entières, si totalement que nous souffrons surtout de cela, de ce pouvoir terrible et nouveau qui nous oblige à subir ainsi, continuellement et tout entières, la laideur et la méchanceté du monde.
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