Un homme et une femme sur une île. Ils sortent d'une caverne dans la falaise, ils sourient, rajustent leurs vêtements. Elle rassemble ses cheveux sur sa tête en une espèce de chignon rebelle. Ils partent explorer. Elle semble petite près de lui. Ils marchent au bord de la falaise sur la roche brûlante et noire, comme déposée en states diagonales par une main géante. Ils ne parlent pas, regardent où ils posent le pied. Elle pense, légère: Si je tombe, je meurs.
Vous mettez le pied hors de l'avion, et l'air étouffant vous entre de force dans le corps. Ça vous coupe le souffle. C'est le soir, il n'y a plus un rayon de soleil et pourtant vous sentez la brûlure de la chaleur sur votre corps. Aussitôt, vos vêtements vous grattent partout où ils sont en contact avec la peau. Vous inspirez lentement, et vous sentez clairement que ce qui pénètre dans vos poumons n'est pas l'air que vous connaissez. Cet air-là est lourd, il sent la mer et la poussière. Ça ne dure qu'un instant, mais à ce moment-là, vous comprenez que le Sénégal a déjà commencé à s'enraciner dans vos pores, pour toujours.
J'ai souvent cru que tu pensais trop de bien de moi. Je me sentais comme un imposteur, et pourtant je n'ai pas voulu te détromper. Tu admirais que je puisse rester ici, content de vivre dans le pays auquel j'appartiens, alors que tu souffrais de la bougeotte. Peur de t'installer, de t'enraciner, peur de t'engager, d'assumer la petitesse de ta condition humaine, tu disais. Capable d'aimer seulement lorsque l'histoire est impossible.
Parfois, j'aimerais pouvoir faire la même chose pour toi. Te déconstruire un morceau à la fois, regarder comment tu es faite en dedans, réparer toutes tes blessures. Pas pour te changer, mais pour t'aider à guérir. Parce qu'on est amis depuis toujours, mais avec tellement d'impuissance.
- C'est tout? demande Simon.
Il parle doucement, l'air de quelqu'un qui a deviné, mais qui ne veut rien forcer.
- Non.
- ...
- Je peux pas... je suis comme sur un bateau qui penche au milieu d'une tempête. Si je te parle des petites choses, je me sens presque normale.
Alice,
Je ne sais pas où t'écrire. "Alice Tremblay: Sénégal"? Ça ferait un peu court. Et moi, les courriels... Je posterai mes lettres dans ta corbeille, si ça ne te gêne pas. Tu les liras si tu veux.
Je cherche depuis des jours les mots pour que tu m'aimes. Ton pays de mer et de désert va m'effacer de tes souvenirs comme une trace de pas sur le sable. Je n'existe déjà plus.
Personne n'attend Alice à Montréal. Elle a toujours détesté revenir de voyage, se sentir prise entre deux mondes. Elle a peur de ne plus se reconnaître dans le regard de ses proches, de s'y découvrir étrangère. Alors, depuis longtemps, elle n'annonce plus ses arrivées.
Il sait, de toute façon. Il a toujours su. C'est elle qui complique tout.
Elle était obsédée par l’image des grands espaces. Savoir que ces derniers sont froids, hostiles et dangereux ne l’a pas arrêtée. Lorsqu’elle a découvert qu’elle était enceinte, elle a dit: «L’enfant sera libre ou ne sera pas.» La curiosité et la témérité sont brimées dès l’enfance à Ville-réal. Soigneusement et méthodiquement. Pour Alyse, laisser faire cela à son propre bébé n’était pas envisageable.
Sam a refusé de l’accompagner. C’était clair entre eux: l’enfant appartenait à Alyse. Lui, de toute façon, n’avait jamais souhaité d’enfant. Un être qui dépendrait de lui pour survivre. Elle ne lui a pas annoncé le jour de son départ. Ils avaient décidé que c’était la meilleure façon: il ne pourrait pas l’empêcher de partir ni la dénoncer, et il ne saurait rien de ses préparatifs. Cette ignorance le protégerait des enquêtes et des interrogatoires.