si une personne qui commence à savoir ne doute pas d'elle-même, elle devient alors redoutable pour les autres, car éprise de pouvoir.
"Le mal d'incertitude"
Comment empêcher qu’un amour décline une fois ses heures de triomphe passées ?
Pratiquant assidûment l’alpinisme, je limiterai ma réponse au koan zen que voici : « Quand tu arrives au sommet de la montagne, continue de grimper. »
Pour vivre, il faut avoir été regardé au moins une fois, avoir été aimé au moins une fois, avoir été porté au moins une fois. Et après, quand cette chose-là a été donnée, vous pouvez être seul. La solitude n'est plus jamais mauvaise. Même si on ne vous porte plus, même si on ne vous aime plus, même si on ne vous regarde plus, ce qui a été donné, vraiment donné, une fois, l'a été pour toujours. A ce moment là, vous pouvez aller vers la solitude comme une hirondelle peut aller vers le plein ciel.
Je suis homme par ce que je ne cède pas à cette espèce d'entropie qui va confondre les autres dans le même magma. Donc oui il y a une peur du monde mais ce n'est pas la peur de n'importe quel monde. C'est la peur d'un monde où les hommes ne sont jamais souverains mais toujours asservis.
Ainsi, au plus profond des solitudes humaines, si différentes soient-elles dans leurs expressions, se niche toujours un manque.
Quand enfin quelqu'un se débarrasse de ses épaisseurs qui sont de pauvres armures : le savoir, la conscience de soi, la bienséance parfois, l'habitude, toutes ces choses qui servent d'écrans, de murailles, de vêtements lourds que l'on met sur soi. Quant à certains moments tout ça tombe, la solitude est alors entière, et en même temps c'est la fraternité qui est là. - Christian Bobin- (p.35-36)
- Marie de Solemne: « Pour vous, la solitude est-elle plutôt une grâce ou une malédiction ? »
- Jean-Michel Besnier: « S’il faut choisir entre les deux, plutôt une grâce — même si le terme n’appartient pas du tout à mon lexique parce que la connotation religieuse y est présente. Mais en aucune façon ce n’est une malédiction. Peut-être pourrais-je vous soumettre un entre-deux: la solitude est le résultat d’une conquête.
Alors que la grâce, elle, est tout entière du côté du don — comme si on avait été ‘gratifié’ de la solitude —, et la malédiction toute entière du côté de la répulsion — comme si on y avait été condamné —, je situerais la solitude entre les deux. C’est ce qui se conquiert... de haute lutte et de manière incessante. »
- Marie de Solemne : « Dans ce mot de conquête, on entend le mot ‘quête´. Dans le domaine de la solitude, qui quête-t-on ? »
- Jean-Michel Besnier : « Si l’on donnait l’autonomie comme équivalent à la solitude — ce qui peut sans doute paraître un peu abstrait — on comprendrait mieux que ce soit le résultat d’une conquête. Il faut s’arracher à soi, à l’inertie première, pour être solitaire. Il faut s’arracher à tous les déterminismes qui nous lestent. Le problème avec la solitude, c’est qu’elle n’est pas un point d’aboutissement. On est jamais installé dans la solitude. La solitude est plutôt une disposition, une ouverture. Conquérir une situation qui nous mette dans l’ouverture à quantité de possibles, c’est cela la solitude. Il n’y a donc pas un objectif ´solitude´ qui nous imposerait un certain nombre de gestes, un certain nombre de ruptures, de renoncements, de sacrifices, il y a simplement une propension naturelle à se fondre dans les autres — propension naturelle au conformisme qui se voit particulièrement chez les enfants. Une inclination à l’inertie à quoi nous devons nous arracher pour que les choses puissent commencer. De ce point de vue, la solitude est ce moment nodal où un commencement devient possible. »
L’effrayante conquête (extrait du dialogue), pp. 53-54.
Je crois que pour vivre-parce qu'on peut passer cette vie sans vivre, et c'est un état sans doute pire que la mort- il faut avoir une chose qui n'est malheureusement pas si courante, et là il s'agit d'une grâce. Pour vivre, il faut avoir été regardé au moins une fois, avoir été aimé au moins une fois, avoir été porté au moins une fois. Et après, quand cette chose-là a été donnée, vous pouvez être seul. La solitude n'est plus jamais mauvaise.
Si on veut transmette quelque chose dans cette vie, c'est par la présence bien plus que par la langue et par la parole. La parole doit venir à certains moments, mais ce qui instruit et ce qui donne, c'est la présence. C'est elle qui est silencieusement agissante.
Les solitaires aimantent le regard, on ne peut pas ne pas les voir...