La chronique de Gérard Collard - On reconnaît le bonheur au bruit qu'il fait en s'en allant
Je me demande jusqu'à quel point une maladie peut s'acharner sur un être. Je me demande pourquoi c'est mon père qui subit ça. Je ne sais plus quoi faire. Je ne fais plus rien pour lui. Je ne peux plus rien faire. J'essaie de vivre normalement. Je me dis que c'est la seule façon de survivre. (...) J'oublie. Je me souviens. J'ai la tristesse cachée derrière la joie.
Je me dis que peut-être l'insouciance, c'est quelque chose qu'on a jusqu'à un certain âge, et que lorsqu'on la perd, on ne la retrouve plus jamais.
Le bonheur était là, simplement, dans la monotonie de notre vie, dans sa douce quiétude, dans cette vie que toi, mon père, avais construite, et qui convenait si bien à mon enfance.
Les pères savent que les paysages sont encore plus beaux quand on les regarde avec ceux qu'on aime.
Nous ne parlons jamais de nous. Jamais. Les timides ne savent pas parler d’eux-mêmes. Ils ne peuvent pas. Ils parlent de la pluie et du beau temps. Ils laissent l’autre s’exposer, être dans la lumière. Un timide ne brille jamais plus que dans l’ombre.
Mon père n'était pas parfait. Il l'est devenu le jour où il a arrêté de parler, d'être froid, de toujours donner raison à ma mère, de me contredire. Ce jour où mon père est devenu invalide, je l'ai mis sur un piédestal. Mais ce sont toutes ses imperfections qui me manquent. .
Mon père ne m'avait jamais dit: "Je t'aime" et pourtant il existait, bien palpable, sous-jacent, cet amour entre nous. Comme un chat silencieux qui vient se frotter et dont on sent la caresse aller et venir sur la peau nue.
C’est ainsi que ma vie a commencé, dans les grandes mains de mon père, à refaire, jour après jour, le chemin des papillons.
Il y a quelque chose que j’aimerais dire à tous les bienheureux, tous ceux qui ont la chance d’avoir un père vaillant, un père qui peut prononcer leur nom, se lever, marcher avec eux, j’aimerais leur dire: "Fermez ce livre, ce plaisir solitaire du livre, vous avez toute la vie pour être seuls face à un livre, et sortez, descendez dans la rue, videz les artères des immeubles, répandez-vous sur les chemins en une hémorragie de fils et de filles, suivez le bruit de votre cœur qui bat et courez le retrouver."
Elle est seule dans les allées de la grande surface, ma mère. Les larges allées qui n'en finissent pas , avec tous les produits à l'infini. Ma mère est seule. Elle est deux inséparables séparés.